Elles ne sont pas nombreuses à remplir le Théâtre des Champs-Elysées sur leur seul nom – 1900 places tout de même – quand la plupart des salles aujourd’hui ne jouent plus à guichets fermés, à recevoir une salve d’applaudissements sans avoir commencé à chanter et accepter l’hommage le sourire aux lèvres comme s’il coulait de source. Elles ne sont pas nombreuses à imposer à leurs côtés un ténor obscur dont la méforme annoncée ne saurait être la seule raison de l’obscurité. L’intelligence de l’interprète vient au secours du chanteur autant que possible. Mais, rien à faire. La voix se dérobe, les notes craquent ou quand elles ne cèdent pas à la pression d’airs aussi impitoyables que « Vesti la giubba », restent coincées dans la gorge. Marius Vlad Budoiu a pourtant reçu le VIP Award du « meilleur chanteur roumain » en 2010. Il dirige depuis 2012 l’Opéra Roumain de Cluj-Napoca. Ne devrait-il pas totalement se consacrer à sa nouvelle activité ?
Elles ne sont pas nombreuses à changer trois fois de robe dans la même soirée, à entrer sur scène, timides, dans un frisson de mousseline rose, pour finir superbes, sculptées dans une robe de dentelle noire, ondulant de la taille, les bras levés au ciel. Elles ne sont pas nombreuses à sortir de scène entre chaque numéro, à saluer l’orchestre et le public d’un geste royal de la main comme si elles n’allaient jamais revenir (alors que le programme ne laisse aucun doute sur leur retour). Elles ne sont pas nombreuses à imposer au chef leur propre tempo, au risque et au mépris d’inévitables décalages. Tiberiu Soare garde la tête tournée vers la chanteuse plutôt que le regard dirigé vers l’orchestre. Comment sinon ne pas perdre totalement la mesure. Et tant pis pour le torticolis ! Les pages symphoniques sont dirigées à grand fracas comme si rageur, le maestro cherchait à rétablir le poids d’une autorité bafouée.
Elles sont en revanche nombreuses à proposer en bis « O mio babbino caro » mais plus rares à le chanter comme une reine implorerait la miséricorde divine. Pour rappel, il ne s’agit que de l’humble supplique d’une jeune fille à son « petit papa chéri ». Elles ne sont pas si nombreuses à susciter ainsi agacement et admiration, amusement et émoi, irritation et enthousiasme. Angela Gheorghiu fait partie de ce petit nombre.
Le nouveau récital des Grande Voix au Théâtre des Champs-Elysées la présente telle qu’en elle-même avec ses excès et ce chant exceptionnel, d’autant plus admirable que la soprano roumaine prend garde ne jamais le mettre en danger. Les airs ont été choisis pour magnifier la moire du timbre, la longueur du souffle et la maîtrise du volume. Ah, ce « Io son l’umile ancella » et ses dernières notes, attendues, amenées avec un art consommé de l’effet et finalement étirées jusqu’à ce que la salle, assujettie, se répande en clameurs. Dommage que les trois bis ne soient pas calibrés pour pousser l’engouement un cran plus loin – « O mio babbino caro », une chanson roumaine et un « Granada » dont on suppose le ridicule involontaire. Il n’est pas certain qu’Angela Gheorghiu pratique l’autodérision.
Les duos sont gâchés par un partenaire dont on a dit l’insuffisance. L’air de Liu qui se substitue à celui de Louise initialement prévu est un tour de chauffe. Mais, outre Desdemona et cette Adriana que l’on se réjouit d’applaudir intégralement à la Bastille en fin de saison, il y a une Wally frémissante, aujourd’hui sans rivale. L’air « Ebben ? Ne andrò lontana » a été rendu célèbre au cinéma par Jean-Jacques Beineix. Le nom du film : Diva.