L’Orfeo de Monteverdi n’a jamais été aussi souvent présenté par des troupes variées, avec les partis pris les plus divers, entre reconstitution historique et relecture contemporaine. L’Opéra de Munich, lui, a tranché dans le vif : entre hippies à Katmandou et Le Bal des Vampires, il ne fait pas dans la dentelle !
Dans le délicieux décor 1900 du Printzregententheater de Munich (directement inspiré, en plus petit, du Bayreuther Festspiele), affiché complet en ce soir de première mais avec un certain nombre de sièges restés inoccupés, le rideau se lève sur le personnage de la Musique (Angela Brower), qui assure la présentation. Ses ailes mitées et effrangées, peut-être en raison de la baisse des crédits alloués à son art, ne l’empêchent pas de virevolter et de chanter fort bien au milieu de hautes fleurs stylisées. Arrive un combi Volkswagen des sixties décoré de fleurs peintes façon peace and love, plein à craquer, comme la cabine des Marx Brothers d’Une nuit à l’Opéra, de toute la noce d’Orphée et Eurydice.
C’est la pire noce à laquelle on puisse être convié, avec tout ce qu’on aime : mousseux, jetés de paillettes et de riz, guirlandes (« Just married »), mariés dans le véhicule que les invités secouent en tous sens, karaoké, danses locales balourdes, bref « on s’amuse », c’est sordide et pitoyable. Christian Gerhaher (Orphée), chante avec un micro (non branché) à la manière du King, en faisant des déhanchements suggestifs vers l’avant, la classe. Mais la voix, habituée surtout à Papageno et à Wolfram dans de grandes salles, s’adapte difficilement au style montéverdien. Quant à Anna Virovlansky (Eurydice), à la voix parfois un rien rauque, elle a tendance à crier et à étirer les sons. Bref, le couple est bien loin de la douceur angélique que l’on imagine.
C. Gerhaher (Orfeo), Zürcher Singakademie, © Photo Wilfried Hösl
Les fleurs laissent la place à des fétus-spectres qui pendent des cintres et doivent, on suppose, représenter tous les enfants que le couple n’aura pas. Plus de hippies, nous sommes dans les marécages putrides où rôde la mort. La barque de Caron a une grande hélice à l’arrière, comme celles des bateaux à fond plat des bayous de Louisiane. Les lamentations d’Orphée se traduisent en cris certainement justifiés mais musicalement peu agréables. Et soudain, Proserpine (Anna Bonitatibus) apporte au spectacle ce qui lui a manqué jusqu’alors : une vraie présence dramatique, un sens musical aigu, et même une gestuelle baroque. Nombre de rôles secondaires l’accompagnent dans cet effort, dont Mathias Vidal (Pastore et Spirito), toujours excellent : Orphée, tout heureux de retrouver son Eurydice, se dandine à nouveau comme Elvis, mais tout devient alors si confus que le moment crucial où il se retourne reste noyé dans les brumes fétides du monde de l’au-delà.
On retrouve notre Orphée désespéré, maintenant SDF vivant dans son combi destroyed, avec tous les accessoires qui vont avec (bonnet et vêtements), mais aussi la lyre qu’il traîne depuis le début, en complète contradiction avec la musique du moment. Un collègue, pour l’aider, lui passe un couteau. Il s’ouvre donc les veines. Cauchemar de l’agonie ? Tous les convives de la noce reviennent et rejouent la scène du mariage. Orphée a donc retrouvé son Eurydice, et, tout heureux d’être enfin réunis, ils descendent dans la tombe.
L’orchestre joue en permanence trop forte, avec des notes étirées faussement baroques qui donnent l’impression que son chef Ivor Bolton manque de précision. Le style est, de plus, souvent surprenant, ayant tendance à tirer l’œuvre vers le belcanto. En fait, toute la partie musicale paraît trop appuyée, et l’on est loin de la légèreté et du raffinement que l’on avait tant appréciés dans l’Orfeo de Sébastien d’Hérin avec son ensemble Les Nouveaux Caractères. Mais, sans vouloir dénier au metteur en scène David Bösch le droit de faire ce qu’il veut, dans des décors et des costumes au demeurant adaptés à son idée, l’un des points les plus faibles de cette production consiste en une espèce d’art de détourner l’attention de la musique par tout ce qui se passe sur scène, au lieu de lier l’une à l’autre. Surtout qu’il y a souvent des contresens entre les deux. La partie musicale devient ainsi, trop systématiquement, une espèce de contrepoint négatif du jeu scénique. Les spectateurs munichois compassés font un triomphe à ce spectacle d’un modernisme assez démodé, sans création et au total plutôt lourd et pédant, en couvrant de leurs applaudissements les quelques huées adressées à la mise en scène.
Prochaines représentations les 25, 27 et 30 juillet 2014, reprise les 18, 21 et 23 juillet 2015.