Jérémie Rhorer était invité à diriger Fidélio en version de concert au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Outre son orchestre, le Cercle de l’Harmonie, l’excellent chœur de chambre des Eléments, préparé par Joël Suhubiette, la distribution réunissait, comme on va le voir, des chanteurs de très grande qualité. Et pourtant, la réalisation finale laisse l’auditeur un peu sur sa faim, tant le chef s’est laissé aller à des excès regrettables. Sans doute peu habitué à l’acoustique pourtant irréprochable de la grande salle bruxelloise, Rhorer n’a pas réussi à donner vie et couleurs à la partition de Beethoven. Poussant l’orchestre dans un registre sans cesse exagéré, sollicitant les instruments et les chanteurs aux maximum de leur capacités, il oublie de faire respirer la musique et présente finalement la complexe polyphonie de Beethoven en un seul plan sonore particulièrement compact, sans étagement des voix, sans cesse aux limites de la saturation. La lisibilité de la partition y perd beaucoup. Les pupitres de cordes du Cercle de l’Harmonie offrent des couleurs particulièrement pauvres, sans profondeur, écrasant le son sous prétexte de volume. Les vents connaissent de nombreux accidents techniques, de sorte que la partie purement orchestrale paraît finalement assez peu soignée.
Plus grave, Rhorer traite ses chanteurs à peu près comme son orchestre. Il les pousse à donner du volume, beaucoup (trop) de volume, au détriment de la qualité des voix, bridées dans leur liberté naturelle. La musique de Beethoven, déjà tellement expressive dans son écriture même, ne nécessite pas une telle mise en relief. Ces excès un peu puérils d’un jeune chef qui semble vouloir tout contrôler, tout montrer, pousser chaque détail à son paroxysme sont certainement le plus grand défaut de cette production. Mais venons-en à ses qualités, qui ne sont pas minces non plus !
Tous les rôles principaux sont tenus par des chanteurs impressionnants. Léonore de rêve, la soprano suédoise Malin Byström s’impose à tous. Sa voix, aux possibilités apparemment illimitées, son physique particulièrement crédible, son engagement total donnent au rôle un héroïsme rarement atteint et diablement efficace. Son duo final avec Florestan est remarquablement réussi. C’est à peu près le seul moment émouvant de la soirée.
Le Rocco de Robert Gleadow n’est guère en reste. Voix bien timbrée, lyrique jusque dans les registres les plus graves, il affirme lui aussi une grande puissance expressive. On aura rarement vu geôlier aussi sympathique… La prestation de Andrew Foster-Williams en Don Pizzaro est sans doute celle qui souffre le plus des excès du chef. Hurlant d’une seule couleur d’un bout à l’autre de son rôle, il perd beaucoup de ses possibilités expressives. Loin de gagner en crédibilité, le rôle ainsi caricaturé frise presque le ridicule. Florestan est l’excellent Joseph Kaiser, extrêmement engagé, lui aussi. Son chant, idéal pour le rôle, très puissant, impressionne par sa souplesse et son caractère héroïque. Michaël Colvin en Jaquino livre également une très bonne prestation, ainsi que Sophie Karthäuser (Marcellina), dont la voix moins puissante souffre un peu, cependant, des exigences du chef. Soulignons encore la qualité des chœurs, dont les interventions toujours justes offrent de rares moments de respiration sonore bienvenus.