Avec L’Italienne à Alger, Gioachino Rossini donne libre cours à une verve inégalée dans l’histoire de l’art lyrique. Même Le Barbier de Séville n’atteindra pas un tel degré de fantaisie. Deux siècles plus tard, les « Papatacci », « Kaimakan » et autres turqueries continuent de divertir les salles. Point n’est besoin de mise en scène tant cette musique est drôle. En témoigne un public du Théâtre des Champs-Élysées, secoué de rire dans ce qui n’est pourtant qu’une version de concert du dramma giocoso, créé à Venise en 1813. Pour paraphraser Guitry, le silence stupéfait qui précède l’exclamation d’Isabella, « che muso, che figura ! », c’est déjà du Rossini.
Avec qui plus est Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre, on est assuré de s’en payer une bonne tranche. Le contralto est tellement farce que l’on prend son entrée ratée pour un gag. « So sorry » s’esclaffe-t-elle avant de reprendre cette fois sans faillir ce « cruda sorte » sur lequel elle avait trébuché. Le ton est donné. On va se boyauter. Il faudrait d’ailleurs être triste sire pour résister à tant de bonne humeur. Isabella se préoccupe moins de style que de facéties. Peut-on lui reprocher ? Vocalises souvent bâclées, graves écrasés, médium en retrait : l’Italienne a trop de gouaille pour qu’on puisse lui en tenir rigueur.
Dans les ensembles, les chanteurs s’éparpillent, l’Orchestre de chambre de Paris dérape et court après son chef, Sir Roger Norrington. Impossible de ne pas perdre le rythme lorsque souffle un vent de folie comme celui qui balaye le finale du premier acte. Egaré dans la tourmente, Nicolas Cavallier se cramponne à la partition. Mustafa ne correspond ni à sa vocalité, ni à son tempérament. Le bey finira berné, c’est bien fait ! La bonne humeur étant contagieuse, Antonino Siragusa s’en donne à cœur joie dans le trio des « Papatacci » mais n’oublie pas de serrer au plus près les soubresauts d’une écriture accidentée. Le chant surexposé peut décontenancer ceux qui croient la voix de ténor enjôleuse. Lindoro sait pourtant nuancer et, lorsque la difficulté survient dans sa cavatine du 2e acte la contourner d’un aigu percutant.
Omo Bello chante Elvira d’une voix richement timbrée qui nous change des crécelles habituellement distribuées dans le rôle. Qui y prête attention ? L’épouse abandonnée est un faire-valoir auquel Rossini n’a pas concédé d’air. En Taddeo, Nigel Smith a lui au moins un « gran peso sulla testa » pour exposer sa maîtrise du chant syllabique. Le baryton a décidé de s’amuser. Et quand bien même il ne l’aurait pas voulu, son duo avec Isabella au premier acte l’oblige à se mettre au diapason. La meneuse d’hommes est une blagueuse, c’est entendu. Pourtant, au deuxième acte, un « Per lui che adoro » ramené à la raison, d’une sobre sensualité et intelligemment varié, nous montre qu’ici comme ailleurs, il est souvent préférable de ne pas en faire des tonnes.