Pour son festival « Haendel à Rome », l’Opéra royal de Versailles propose bien des choses qui n’ont parfois qu’un lointain rapport avec Haendel ou avec Rome : Persée de Lully récemment, Didon et Enée bientôt. Amadigi est le seul véritable opéra qu’inclut la programmation, et même s’il n’a rien de bien romain, on est heureux d’entendre, même en concert, cette œuvre bien rare à la scène (mieux vaut oublier les représentations données en 1996 Salle Favart par une troupe irlandaise en tournée). C’est l’opéra d’un Haendel encore jeune, qui n’a quitté l’Italie que quelques années auparavant, un opera seria conçu à une époque où le compositeur ne pouvait pas encore compter sur les prestigieuses distributions qui porteraient par la suite ses plus grandes réussites. Vingt ans avant Alcina, on y découvre déjà une magicienne furieuse qui voudrait retenir un amant pressé d’échapper à ses sortilèges. Et déjà Haendel esquisse ce qui deviendra l’un de ses plus beaux personnages féminins, nous y reviendrons. Quatre protagonistes, c’est pourtant bien peu, et cela ne permet pas de créer la psychologie complexe de héros plus tardifs, aux amours plus contrariées. Tenant sans doute compte des moyens des interprètes à la création, la partition limite le rôle-titre aux roucoulements d’un chevalier galant. L’orchestre, en revanche, se voit confier des pages fort intéressantes, et le Kammerorchesterbasel – en fosse plutôt que sur scène, fait rare pour une version de concert – offre d’admirables sonorités, notamment le magnifique basson de Giulia Genini. Ottavio Dantone impose une direction acérée, constamment tendue, trop peut-être au goût de certains, mais cela vaut infiniment mieux que l’intertie d’autres chefs haendéliens qui laissent la musique s’endormir.
Sur ce somptueux fond orchestral, quelles voix venaient se greffer ? D’abord celle de Karina Gauvin, qui ne peut déployer en Mélisse la même magie que dans des rôles plus élaborés, mais qui livre tout ce que son art lui inspire, dès un premier air qu’on croirait tiré d’Alcina, « Ah, spietato ! ». Hélas, le reste de l’œuvre ne lui permet pas ces mêmes plaies béantes, et la confine dans le sarcasme ou les pleurs, ses derniers mots se bornant à un arioso, après quoi « Elle tombe à terre et meurt ». Ecco un artista ! Difficile d’exister face à une telle méchante, et Roberta Invernizzi est d’abord assez incolore dans le rôle de la gentille Oriane. La voix ne paraît pas très grande et manque terriblement de personnalité, jusqu’au moment où un affrontement avec la magicienne l’oblige à trouver des accents plus dramatiques et fort bienvenus. Chez les messieurs, on a très bien choisi le secondo uomo puisque Filippo Mineccia est tout sauf un second couteau : le contre-ténor italien possède notamment un timbre agréable, qualité nécessaire pour chanter le plus bel air de l’opéra, « Pena tiranna », du très grand Haendel. Lawrence Zazzo avait laissé un assez mauvais souvenir lors de son dernier passage à l’Opéra de Paris, mais heureusement Amadis n’est pas Jules César, et ce rôle ne surexpose pas une voix dont le grave s’est assourdi et l’aigu sonne moins vaillant que jadis. Le contre-ténor américain révélé dans Agrippina s’était déjà fait entendre à Paris dans ce même opéra, en version de concert également, en 2008. La voix n’a pas perdu de son agilité, presque aussi sollicitée ici que ses qualités élégiaques. L’enregistrement qui suivra peut-être dispensera l’auditeur des grimaces et contorsions un peu regrettables auxquelles l’interprète se livre malgré lui, et surtout de ces invraisemblables morceaux de costumes XVIIIIe dont on a cru bon d’affubler les chanteurs, comme pour donner un petit côté patronage à une soirée qui méritait mieux.