Quelle joie de retrouver Philippe Jaroussky en pleine forme après une éclipse dont on aurait pu craindre qu’elle ne dure trop et qu’une absence prolongée puisse altérer les moyens vocaux de notre chanteur (voir brève du 30 janvier 2013) . Mais il est des pauses qui font manifestement du bien et amènent une visible sérénité. C’est ainsi qu’est apparu le contre-ténor sur la scène du Festspielhaus de Baden-Baden, suprêmement serein, toujours aussi sage et impeccable (trop ?), tant dans la vocalité que dans l’apparence. Tout cela aurait pu conduire à une interprétation désincarnée et irréelle ; bien au contraire… On touche au sublime dans cette évidence de la ligne de chant, dans le cantabile angélique quoique sensuel, le tout en état de grâce. C’est dans le « Surgite » et surtout le « Cum dederit » du Nisi Dominus que l’on atteint des sommets dans l’aisance, avec une troublante androgynie. Tout cela efface les réserves formulées quant à la dureté ou l’artificialité qui gâtait la voix au cours des mois qui ont précédé la pause. Par ailleurs, la voix projetée passe aisément la rampe, ce qui n’a pas toujours été le cas dans nos écoutes précédentes.
Alors que la star de la soirée est clairement Philippe Jaroussky et qu’on se demande ce que va donner son faire-valoir, la véritable surprise vient justement de la partenaire. Certes, la soprano russe Julia Lezhneva n’est plus une inconnue, mais elle ne jouit pas encore de la renommée du contre-ténor français. Si elle paraît froide et lointaine, visage de poupée quasi inexpressif, la toute jeune femme fait preuve d’une musicalité exceptionnelle, d’une voix puissante et d’une technique déjà éprouvée. Il se dégage de son chant une rondeur, une sensualité et une séduction étonnantes. Imperturbable tout au long du Stabat Mater de Pergolèse qu’elle égrène pourtant avec une ferveur communicative, Julia Lezhneva réussit à nous faire vibrer. Quel contraste entre la froideur extérieure et les sonorités de pure émotion. Toute simple dans sa robe violette très élégante, ce petit bout de femme force l’admiration. Bonheur supplémentaire, les deux voix se marient à merveille, dans une fusion harmonieuse. Quelle riche idée que d’apparier ce couple musicalement idéal ! Après de sublimes agonies dans le « Corpus morietur » d’une lenteur périlleuse mais impeccablement gérée, ils nous assènent un « Amen » à réveiller les morts.
À peine remis de ses émotions et occupé à une longue ovation, le public est encore gratifié d’une Salve Regina de Scarlatti, très proche du Stabat Mater de Pergolèse et en parfait accord avec le reste du programme.
Pour compléter la belle harmonie de cette soirée, l’ensemble I Barocchisti accompagne de chaudes sonorités (avec une mention spéciale pour le théorbe) les interprètes qu’il contribue largement à magnifier. À la direction et à la basse continue, Diego Fagolis est, à son habitude, irréprochable.