C’est un récital entièrement consacré à Wagner et ses suiveurs qu’Angelika Kirchschlager proposait au public bruxellois ce vendredi, en guise de contribution aux fêtes du bicentenaire du maître de Bayreuth. Ce programme particulièrement bien équilibré, très intelligemment choisi dans l’abondant corpus du romantisme germanique tardif, mettait en lumière le tribut que toute cette période doit à Wagner et montrait comment le mouvement vient mourir au milieu du XXe siècle, alors que d’autres esthétiques, radicalement différentes, sont déjà bien solidement implantées.
Quelques une des meilleures pages tirées des Mörike Lieder de Wolf figuraient à l’entame de ce programme. On doit pardonner à tout récital les habituelles imperfections du début. Il faut bien que les deux partenaires trouvent leurs marques et établissent dans un climat de confiance le contact avec le public. Les premiers Wolf furent un peu victimes de ce phénomène bien compréhensible. Mais il fallut bien réaliser d’emblée aussi que la chanteuse n’était pas au meilleur de sa voix. Si les grandes envolées lyriques mettent bien en valeur ses possibilités vocales, les passages plus retenus font apparaître quelques défaillances, des sons trop bas ou au timbre moins riche auxquels elle ne nous a pas habitués. En grande professionnelle, Kirchschlager fait face en souriant à ces petites trahisons de son instrument et se concentre sur la poésie et la musique, ses meilleures armes pour séduire le public. Il va sans dire qu’elle y parvient aisément et qu’on oublie bien vite les quelques réserves du début. Wagner lui convient d’ailleurs mieux que Wolf, et elle déroule les somptuosités chromatiques des Wesendonck Lieder avec aisance et volupté. A l’apogée du cycle, Schmerzen est absolument magnifique et son rayonnement s’étend à Träume, qui clôture la première partie du récital en majesté.
Après la pause vient l’opus 38 de Korngold, un compositeur assez peu fréquenté par les chanteurs de lieder, et qui apporte à ce programme une touche de légèreté bienvenue. Angelika Kirchschlager terminera sa prestation par un beau choix de lieder de Richard Strauss, dont le lyrisme épanoui convient très bien à sa voix également. Avec une diction très soignée et un sens aigu de la poésie, un véritable amour de la langue allemande, elle sculpte les phrases délicieusement interminables de Strauss dans un climat de douce nostalgie (Ruhe meine seele ou Morgen) ou d’humour légèrement décalé (Für fûnfzehn Pfennige), pour le plus grand plaisir de tous.
Le jeune pianiste britannique Simon Lepper fait preuve, tout au long du récital, d’un sens aigu de son rôle d’accompagnateur : présent sans excès, d’une souplesse à toute épreuve, joliment inspiré lorsque la partition le lui permet, il semble être un précieux soutien pour sa partenaire, sans jamais tirer la couverture à lui ; particulièrement habile à évoquer tout un orchestre dans Wagner ou dans Strauss, il sait aussi se montrer spirituel dans Korngold. Il y a fort à parier qu’on entendra encore souvent parler de ce jeune homme…
Un seul bis, le très célèbre Zueignung de Strauss, viendra clore ce récital.