Dans le cadre des concerti di belcanto que propose chaque année le Rossini Opera Festival, Celso Albelo ne déroge pas à une règle maintes fois vérifiée, à savoir que le meilleur d’un récital se trouve souvent à la fin, au moment des bis. Le chanteur, soulagé du poids d’un programme qu’il a voulu ambitieux, preuves faites, encouragé par les applaudissements du public, peut donner libre cours à son art. C’est alors que se révèlent parfois des qualités insoupçonnées, des affinités imprévues. On croyait Celso Albelo arrimé au répertoire italien romantique – Bellini, Donizetti, le jeune Verdi – et l’on découvre que Cilea, compositeur dit vériste, est celui qui met le mieux en valeur sa personnalité vocale. Dans le lamento di Federico, le chant, que l’on avait auparavant trouvé égal mais sans grand relief, invente des nouvelles couleurs, ose la demi-teinte, ateint l’intensité requise. Cette force d’expression, le ténor canarien la trouve en son fort intérieur, les yeux fermés, le visage baissé, les poings serrés. Il lui faut s’échapper de la salle, oublier le trac et la chaleur pour donner le meilleur de lui-même. Certains artistes puisent leurs ressources dans le contact avec le public. Celso Albelo au contraire semble avoir besoin de s’en abstraire. Qu’il prenne conscience de la centaine de paire d’yeux rivés sur lui, dont celle de son illustre confrère Juan-Diego Flórez, et le ténor perd pied, s’éponge le front avec sa pochette devenue mouchoir, ou encore oublie les paroles de la « Furtiva lagrima ». La main cherche souvent le bord du piano, auquel elle s’accroche comme un naufragé à une bouée. Il suffit qu’elle abandonne cet appui pour qu’automatiquement le chant se libère. Ainsi, une « Donna é mobile », confiante, joyeuse dont la cadence finale se crispe dès que la main touche le bois de l’instrument et dont le Si aigu jaillit clair et insolent dès qu’elle lâche prise. S’achève ainsi en beauté un récital dont le programme voyage de l’Espagne vers l’Italie avec, comme point de jonction entre les deux pays, la Canzonetta spagnuola de Rossini. Le compositeur de Guillaume Tell, opéra à l’affiche de cette 34e edition du ROF dans laquelle Celso Albelo interprète le rôle du Pêcheur, n’est pas celui qui convient le mieux à notre jeune ténor. L’agilité qu’il requiert est trop extérieure à son tempérament. Plus que les pointillés d’une écriture virtuose, son chant aime les lignes longues tracées d’un geste mélancolique : l’adieu à la vie d’Edgardo dans Lucia di Lammermoor bien davantage que les bravades de Leceister dans Elisabetta, regina d’Inghilterra. De même, dans le répertoire ibérique, la nostalgie qui suinte des mélodies de Carlos Guastavino le montre davantage dans son élément que la fierté blessée des canciones de Joaquín Turina. Soutenue par le jeu aussi attentif que passionné, de Giulio Zappa, la voix peut alors exposer ce qui fait son charme et son intérêt : une certaine douceur, un sens du phrasé, une technique solide qui, en soudant les registres, évite la rupture. Tout ce qui l’apparente à celle de son compatriote, Alfredo Kraus, dont les similitudes, souvent relevées, auront semblé cet après-midi moins évidentes que d’autres fois