Simon Keenlyside revendique une manière de chanter la mélodie qui privilégie la phrase, le modelé vocal, plutôt que le détail de chaque mot. Dans Brahms, cela fonctionne bien, même si certains éléments du coup semblent volontairement gommés, ou sous-estimés. L’on entend bien ce désir de mener la phrase à son terme en un arc sonore plutôt que ciseler le mot. Cela passe aussi par une émission vocale délibérément opératique. Keenlyside ne s’invente pas pour chanter le lied une voix différente de celle qu’il emploie pour Posa. C’est assez souvent impressionnant, du reste, car on n’est pas habitué à une telle intensité dans des lieder que beaucoup chantent du bout des lèvres. Il n’est pas certain que cela marche aussi bien dans Wolf où tout de même le crénelage du mot allemand est presque l’objet même de l’écriture musicale.
Dans Fauré, en seconde partie, on s’interroge. Est-il raisonnable de traiter « Le Papillon et la fleur » comme un air d’opéra : avec beaucoup d’intentions, certes, et même de l’esprit, mais aussi beaucoup de son. Ce qui pallie ce parti pris, c’est une diction française admirable, qui séduit et exprime mieux que son allemand. Changement de registre dans les Histoires Naturelles : Keenlyside fait valoir toutes les ressources d’une mi-voix jusqu’ici inemployée. Il ose le murmure. Il parle presque. La diction est parfaite. L’interprétation est idéale, vraiment. On regrette juste un peu qu’il n’ait pas traité Fauré comme il traite Ravel, sans toujours chercher le volume et le creux de la voix dans une salle, de surcroît, petite. Pour se consoler, nous avons droit en bis à des Schubert sublimes, chantés dans cette même couleur de mi-voix, intériorisés, dits pour soi-même. Après avoir commencé par un Incanto degli occhi dont on sait qu’il n’est pas du plus grand Schubert et que le baryton a entonné comme un air de concours, Der Jüngling an der Quelle et Die Sterne sont venus offrir ce que sans doute le chanteur avait de plus précieux. Et cela vaut le détour. C’est également Schubert qui a enfin permis à Emmanuel Ax de respirer avec son chanteur, après une soirée passée le nez dans des partitions dont on se demandait parfois s’il les déchiffrait pour la première fois.