L’un des plus grands contre-ténors de notre temps, accompagné par un prestigieux ensemble baroque : comment résister lorsque le concert a pour cadre un théâtre à l’italienne, comme l’Opéra-Comédie de Montpellier ? Le programme est l’exacte réplique de celui du concert enregistré à Baden-Baden par Arte en février 2012, concert qui précédait de peu l’enregistrement réalisé par Virgin (commercialisé en février 2013).
Quatre œuvres instrumentales ponctuent le récital. Deux concertos de Vivaldi encadrent une sinfonia de Brescianello et un concerto de Galuppi. L’ensemble Il Pomo d’Oro est merveilleux de cohésion, de virtuosité, de dynamique, son chef et soliste, Riccardo Minasi, est irréprochable. La rondeur des timbres est un régal pour une musique qui le plus souvent respire. L’absence d’un théorbe est à déplorer, le clavecin n’ayant pas cette couleur, ni cette aptitude à la libre improvisation dont d’autres ensembles ne se privent pas.
Les huit airs d’opere serie ou de serenate que chante Max Emanuel Cencic constituent un programme varié, d’une progression savamment dosée, représentative des différentes facettes d’un art vocal porté à son apogée, entre 1710 et 1740 dans la sérénissime république.
Bronzé à souhait, rayonnant, tout de blanc vêtu, hormis une veste croisée rayée orange, avec une pochette turquoise irrésistible, Max Emanuel Cencic commence par une plainte mélancolique, « Pianta bella », d’Albinoni, où il déploie tout son art : phrasé exemplaire, ornementation délicate avec une conduite de la ligne vocale …à couper le souffle. « Barbaro non comprendo », de Caldara, va être l’occasion d’une démonstration virtuose véhémente frisant la sauvagerie. Mais l’éclat de la voix n’est plus que passager. Notre héros serait-il en petite forme ? Si l’agilité est suprême, l’articulation est rendue malaisée par la pyrotechnie des traits. Les aigus sont toujours superbes, alors que le medium et le grave semblent manquer de plénitude, de profondeur. Ce sera encore le cas dans l’aria de Vivaldi, qui clôt la première partie. Ce qui n’altère en rien le plaisir de l’auditeur, conquis par un chanteur d’exception. Entretemps, le « Dolce mio ben » de Gasparini est un modèle. La conduite de la ligne vocale, l’intelligibilité sont ici servis par une voix en parfaite adéquation avec le texte. Nous retrouvons enfin le Max Emanuel Cencic que nous aimons.
Les trois airs de la seconde partie, ainsi que les bis confirmeront cette impression : la voix claire rayonne ici dans toute la plénitude de la tessiture, s’épanouit naturellement dans cet aigu si bien timbré du soliste. On se prend parfois à rêver de couleurs plus chaudes dans le grave, mais oublions Cecilia Bartoli et les mezzo-sopranos…
Les airs enchaînés, avec de nombreuses similitudes typologiques et stylistiques, avec leurs ritournelles obligées induisent une certaine lassitude. Pourquoi n’avoir pas privilégié des fragments plus amples associant le récitatif introductif ou consécutif à l’aria ? La variété des écritures aurait certainement apporté un élément de renouvellement, et les airs présentés dans leur écrin auraient brillé de mille éclats supplémentaires.
Les ovations sont longues et méritées, car le concert qui s’était ouvert dans une certaine indifférence grisâtre s’est progressivement éclairé pour s’embraser enfin. « Anche un misero arbocello », extrait de Nitocri, un opéra de Giuseppe Sellitto, récompense en bis les applaudissements nourris d’un public comblé.