Peu d’opéras du répertoire sont représentables sur la scène du Festival d’Herrenchiemsee : une simple estrade installée à l’une des extrémités de la galerie des glaces de ce château voulu par Louis II comme une réplique de Versailles (cf. le compte-rendu du concert du 18 juillet). Seule peut-être, Ariadne auf Naxos se conçoit dans pareil contexte. Après tout, le mystérieux mécène, imaginé dans le prologue de l’opéra par Richard Strauss et son librettiste, Hugo von Hofmannsthal, pourrait être le roi de Bavière organisant une réception dans la plus somptueuse de ses demeures. Il a, comme lui, l’esprit fantasque, le caractère impérieux et, tel un de ces dieux condamné au crépuscule, préfère rester invisible. Partant de là, la soirée prend une dimension onirique que rien ne vient contredire. Les costumes et perruques portés par tous les artistes, musiciens de l’orchestre compris, entretiennent l’illusion. Quelques accessoires – un paravent, une table au prologue, trois rochers ensuite – agrémentent le premier plan de la scène, l’orchestre étant placé à l’arrière-plan. Le geste théâtral, fluide, se plie au peu d’espace qui lui est imparti. Les chanteurs entrent et sortent, montent et descendent les quelques marches séparant l’estrade de la salle dans un mouvement incessant qui n’est pas agitation mais animation.
D’un point de vue musical, le Sofia Philharmonic n’est pas l’ensemble le mieux à même d’exalter l’orchestration savante de Richard Strauss mais Ljubka Biagioni sait en tirer le meilleur. Sa direction n’est pas que bienveillante, elle se veut encourageante, maternelle presque par l’attention permanente qu’elle porte aux musiciens et aux chanteurs placés soit devant, soit derrière elle selon les situations. Jamais pourtant, dans cette configuration complexe, la précision n’est prise en défaut et l’équilibre des volumes sonores compromis. C’est naturellement que la puissance vocale de chacun creuse les écarts. Ainsi, au prologue, le Compositeur de Sarah Ferede dépasse d’une tête ses consœurs qui semblent ménager leur force pour la deuxième partie (la suite le confirmera). La jeunesse fougueuse de ce soprano à l’aigu lumineux rejoint celle du rôle au point que transcendée, l’interprétation devient incarnation. Après des débuts timides où l’on va jusqu’à se demander comment elle parviendra à remplir son contrat, Stanislava Ivanova atteint le même niveau d’accomplissement, parce qu’elle résout avec brio tous les problèmes techniques posés par la grande scène de Zerbinette et parce qu’elle finit par ne faire qu’un avec le personnage : légère, coquette et sensible. Mihail Mihaylov terrasse le rôle, réputé impossible, de Bacchus d’une voix de stentor. L’expression n’est pas le fort de ce ténor venu de Hongrie mais la qualité de la projection et la solidité du chant sont prometteurs. Le reste de la distribution appelle moins de commentaires. L’entente des trois nymphes et des quatre masques ne laisse pas préjuger de leurs qualités individuelles. D’Ariane, Marta Torbidoni ne possède que le port de tête, la plastique du timbre et le registre supérieur. C’est évidemment insuffisant pour la princesse abandonnée mais pas au point de gâcher la fête. En partant, on imagine, caché derrière une des hautes fenêtres encore éclairées, le fantôme de Louis II regarder le public s’égailler d’un air satisfait.