Cette production de la Flûte Enchantée qui avait surpris et convaincu lors de sa création en 2010 (voir la recension de Christophe Rizoud) n’a rien perdu de sa magie. Laura Scozzi a certes pris bien des libertés avec le livret original (notamment dans les dialogues parlés qui ont subi un sérieux ravalement de façade), mais quand le propos est cohérent et la réalisation soignée – et surtout drôle – comment ne pas rendre les armes ?
La Flûte Enchantée devient ici un combat des sexes dans lequel les femmes (au premier rang desquelles la Reine de la Nuit) tentent de rééquilibrer un monde résolument machiste : ces dernières triment pendant que les hommes discutent et se divertissent au club présidé par Sarastro. Elles y parviendront semble-t-il, la dernière scène montrant la Reine de la Nuit, finalement réconciliée avec Sarastro, partir en vacances avec ses drôles de dames sous le soleil de l’Egypte, tandis que le grand prêtre d’Isis et Osiris reste, s’occupant du barbecue pour nourrir son petit monde.
L’idée de situer l’action dans les cimes enneigées (« entre vallées et montagnes » comme l’indiquent les trois dames) trouve une certaine cohérence dans cette œuvre d’initiation : le but est d’atteindre la sagesse, symbolisée par le repaire de Sarastro au sommet de la montagne (sorte de nid d’aigle moderniste). Elle permet surtout, dans les superbes décors signés Natacha Le Guen de Kerneizon, des gags sans cesse renouvelés (Papageno et Pamina fuient en luge, les 3 garçons viennent chercher Tamino en tire-fesse avant de sauver Pamina à bord d’un hélicoptère…) sans que l’œuvre (qui en a vu d’autres !) ne souffre trop.
La série de représentations voit alterner deux distributions différentes, notamment pour les rôles de Tamino, Pamina, Papageno et la Reine de la Nuit. Pour cette matinée c’est l’équipe B qui est sur scène.
Les dames nous offrent des sentiments des plus contrastés. Sur les sommets trône la Reine de la Nuit d’Olga Pudova. Ce n’est pas tant la vocalise (impeccable) ou les suraigus (d’une grande sûreté) qui marquent, mais plus la couleur inhabituelle de la voix. On est ici aux antipodes de la soprano légérissime que l’on nous sert trop souvent dans le rôle. Timbre inhabituellement corsé et émission plutôt droite, cette Reine-là a un caractère bien trempé ! A l’inverse, la Pamina de Melody Moore, trop terrienne, ne décolle pas. La voix est solide et puissante, le medium charnu, mais le haut de la tessiture manque de limpidité et de liberté. L’air « Ach, ich fühl’s » révèle par ailleurs un déficit de souplesse. Par ailleurs, avec des dames sexy et survoltées (qui sont, pour l’essentiel, les mêmes qu’en 2010, Eve Christophe-Fontana et Caroline Fèvre ayant été rejointes Gaëlle Mallada) et une Papagena (Laure Crumière) pleine de peps, le beau sexe fait mieux que se défendre.
Face à elles, les deux compagnons d’aventure, Tamino et Papageno, sont bien appariés. Florian Sempey offre à l’oiseleur son baryton sombre et sonore et l’acteur bonhomme ne fait qu’une bouchée de ce rôle toujours payant. Si le « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » trouve Julien Behr un peu fébrile, le jeune ténor démontre rapidement par son engagement et ses nuances que Tamino lui convient parfaitement. On applaudit également le Monostatos bien chantant de Cyril Auvity.
Wenwei Zhang a, lui, toutes les notes de Sarastro, Le personnage ne prend pourtant jamais vie. On pourrait incriminer la direction de Jurjen Hempel aux tempi parfois précipités qui ne laisse pas respirer la musique, particulièrement dans les airs du grand prêtre (et qui créée parfois des décalages avec le plateau) mais ce n’est pas tout. Il manque à la basse chinoise un creux, une aisance dans le registre grave sans lesquels Sarastro perd d’une bonne partie de son aura.
Pas de quoi cependant gâcher le plaisir du public, nullement engourdi par ce séjour en altitude, qui applaudit longuement l’ensemble des protagonistes à l’issue du spectacle.