Centenaire de l’inauguration de la somptueuse salle « Art nouveau » de l’avenue Montaigne et aussi centenaire de la première représentation in loco de Benvenuto Cellini… Si nombre de mélomanes sont venus pour Berlioz, la plupart sont là pour assister à un concert du Mariinsky sous la houlette de Valery Gergiev, surnommé le tsar des chefs d’orchestre. On ne peut que s’en réjouir puisque les spectateurs parisiens, avides de stars russes, ont ainsi l’occasion de découvrir en prime une œuvre française peu connue et rarement jouée, son audacieuse révélation en 1913 au public du Théâtre des Champs-Élysées n’ayant pas évité à ce Benvenuto de retomber dans un oubli quasi total jusqu’à son retour, sporadique mais constant, depuis les années1960.
Le livret est des plus classiques : une pure jeune-fille, échappe à la surveillance paternelle pour tomber sous le charme d’un galant. L’intérêt, c’est que ce galant soit un grand artiste qui place à hauteur égale l’amour de son art et l’objet de son amour ; il ne veut renoncer à aucun des deux. Pas étonnant que ce thème ait profondément séduit le jeune Berlioz. Après de nombreux remaniements, la foisonnante partition — donnée ce soir dans sa version 1852 — faite d’humour, de légèreté, de changements de rythmes, d’humeurs et de couleurs contrastées, passe de l’opéra bouffe intimiste aux scènes de liesse échevelées, solennelles ou violentes, ponctuées de romances et de duos d’amour d’un lyrisme romantique à perdre la tête. Sous la direction impérieuse et dynamisante de Valery Gergiev, elle bénéficie d’une exécution orchestrale brillante, vigoureuse, sûre d’elle sinon perfectionniste.
Si l’on pouvait craindre que les paroles chantées par des interprètes russes soient difficilement compréhensibles, solistes et choristes ont démontré le contraire. La Teresa de la ravissante soprano Anastasia Kalagina est irréprochable : diction française parfaite, voix souple et fraîche, ligne de chant bien conduite. En revanche, Sergei Semishkur ne semble pas vraiment à l’aise dans le rôle-titre. Phrasé monotone, voix puissante, mais peu musicale, manque de séduction, le ténor se concentre sur les éclats de bravoure. Le chant de Yuri Vorobiev (Balducci) est agréable, bien qu’un peu irrégulier dans l’émission. On distingue la mezzo Ekaterina Semenchuk pour son Ascanio, un peu poussé en première partie, mais qui fait un tabac dans le fameux air « Mais qu’ai-je donc ? » où elle démontre sa santé vocale et son talent de comédienne. Même compliment pour les deux ténors de caractère bien chantants Andrei Popov (Fieramosca) et Andrei Zorin (Le Tavernier) qui font mouche dans leurs airs comiques. On remarque aussi la belle voix de basse russe de Mikhail Petrenko dans le rôle du Pape. Quant aux choristes, ils s’avèrent efficaces et préparés aussi bien dans le chœur des masques et des ciseleurs que dans leurs magnifiques interventions du dernier tableau.
Refusé par l’Opéra comique, chahuté durant ses répétitions à l’Opéra de Paris en 1838, tracassé par la censure, pour être arrêté après trois représentations, ce premier opéra de Berlioz nous rassure sur la vie des grandes œuvres honnies par les sommités musicales et les critiques de leurs temps. Après sa courte réapparition de 1913 au Théâtre des Champs-Élysées et quelques rares résurgences au début du XXe siècle, plusieurs chefs comme Colin Davis et John Nelson ont contribué à mettre en lumière cette œuvre à la genèse épineuse qui porte en germe les belles pages de La Damnation de Faust et des Troyens. D’excellents chanteurs, notamment Chris Merritt et Gregory Kunde, Anna Netrebko et Patrizia Ciofi s’y sont illustrés. Toutefois, Benvenuto Cellini demeure un opéra compliqué à monter et d’une grande exigence quant aux interprètes. Le bouillant maître du Mariinski, Valery Gergiev, fait partie de ceux qui s’y sont attaqué avec enthousiasme.* Qu’il en soit remercié.
* Voir DVD, Salzbourg 2007. Naxos