Etrange capharnaüm que ce nouveau Don Giovanni zurichois : entre un orchestre baroque à l’intonation défaillante et une mise en scène multipliant des lectures dont la pertinence n’apparaît que de façon irrégulière, on comprend les huées que le public adresse lors des saluts au chef d’orchestre et au metteur en scène. A voir le sourire de ce dernier, pas sûr que l’accueil réservé à son travail lui ait été si désagréable…
Le malaise, à vrai dire, a commencé dès l’ouverture. Les différents registres de l’orchestre baroque La Scintilla, emmenée par un Robin Ticciati à la recherche de dynamique, ne semblent pas trouver un langage commun. Chaque attaque des vents (flûtes et cors naturels surtout) sonne passablement faux, et chaque attaque des cordes révèle le déficit d’intonation du passage précédent. Si ces problèmes tendent à se résoudre au second acte, les départs manqués des cuivres restent trop nombreux. Certes, les instruments d’époque permettent un dessin plus franc des traits orchestraux, mais ce gain de théâtralité et de définition ne devrait pas se faire au détriment de l’intonation. Pas en 2013 ! Surtout, une telle théâtralité devient caduque lorsque les décalages entre la fosse et l’orchestre sont aussi nombreux. On ne compte pas le nombre d’intentions, soit de la part du chef, soit de la part des chanteurs, qui n’ont pu se réaliser, tuées dans l’œuf par un décalage trop important pour être excusable. Du coup, les qualités individuelles des interprètes se font oublier, tant on croirait entendre la première scène-orchestre. Peter Mattei a beau avoir ce timbre charnu et cette ligne exceptionnelle qui en font potentiellement un Don Giovanni plus qu’enviable ; Ruben Drole a beau camper un Leporello de fort belle tenue, Marina Rebeka (Donna Anna) s’efforcer d’exposer l’ampleur de son chant. Julia Kleiter peut bien interpréter une Donna Elvira autoritaire qu’on aurait voulue plus nuancée, Pavol Breslik (Don Ottavio) peut même nous enchanter de son timbre mozartien gracieux quoique un peu tendu… Qu’importe, puisque l’on en est réduit à imaginer ce qu’aurait dû être la musique de ce spectacle.
La mise en scène, quant à elle, transpose l’action dans le cadre d’une étrange secte. Digne représentant du Regietheater berlinois, Sebastian Baumgarten parasite volontairement toute illusion théâtrale. Soit. Mais à quelle fin ? Pour assister au premier acte à un bal façon messe noire sacrificielle bon marché où de vilains masques manière Ku Klux Klan parquent les paysans invités en coulisses. Pour voir un banquet final extrêmement commun, alliant de pauvres effets pyrotechniques au costume « diable de carnaval » porté par Don Giovanni. Pour voir ce dernier passer d’une sorte de Tartuffe à un gourou punk, peu convaincant dans l’un ou l’autre de ces rôles. Rare fil conducteur de ce travail décousu, une projection vidéo qui commente l’action et dénonce ainsi la fausseté – ou l’embourgeoisement – de ce monde moralisateur, face à un Don Giovanni d’une liberté toute aristocratique. On le comprend donc, le propos du metteur en scène n’est pas vide de sens – loin de là. Mais les différentes lectures s’activent sans véritable pensée dramaturgique, et il manque à tout cela une ligne d’ensemble forte.
A l’image de ce Don Giovanni sanguinaire, une telle mise en scène dissèque l’opéra de Mozart, au point d’en sectionner les organes vitaux. Sa capacité à agir sur le spectateur – raison d’être d’une pareille transposition – s’en trouve considérablement réduite. Ne reste alors qu’une plaisanterie grotesque et longuette.