Des premières représentations de Rienzi jusqu’aux barricades du Printemps des Peuples d’où commencèrent douze années d’exil, Richard Wagner connut, à Dresde, ses premiers grands succès ; c’est un juste retour des choses qu’à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance, ce soient les ouvrages de cette époque que la Staatskapelle de Dresde mette à l’honneur. Ne rien jouer d’ultérieur à Lohengrin, c’est pourtant renoncer aux « opera magna », dont on dit souvent qu’elles concentrent ce que Wagner a légué de plus profond, de plus novateur et de plus précieux. A Christian Thielemann d’invalider cette affirmation. La Faust-Ouverture est à cet égard une belle révélation, chef et orchestre tournant le dos à toute grandiloquence pour en donner une lecture claire et fluide, en fin de compte presque « mendelssohnienne » – un comble, quand on sait ce que Wagner a dit du compositeur du Songe d’une nuit d’été, mais un salut, tant cette page, qui devait préfigurer toute une symphonie, s’avère parfois bavarde. A cette limpidité presque classique sait bien sûr succéder, quand il le faut, un grand geste romantique exaltant toute la puissance des pupitres : dans ce registre, l’ouverture du Vaisseau fantôme tient d’emblée ses promesses, et fait rutiler chaque pupitre de la Staatskapelle de Dresde comme autant de moteurs surpuissants. Tannhäuser et Lohengrin confirment l’éclatante santé de cet immense orchestre, la richesse et la splendeur de ses timbres, son incroyable dynamisme étant encore exalté par la pièce programmée en hommage au regretté Hans Werner Henze. La direction de Thielemann favorise cela, qui sculpte les phrasés très rubato, se joue des tempi et des climats avec une maîtrise irréprochable. Reste que ce jeu, ouvertement démonstratif, est parfois pris en défaut de cohérence, quand, dans l’ouverture de Rienzi, le mordant des cordes est estompé afin de nous éloigner d’un clinquant dont le brillant quelque peu uniforme des cuivres est pourtant le principal générateur. Wagner est un immense jardin qui n’a plus de secret pour Thielemann qui, fatigué des sentiers battus, s’égare parfois dans la contemplation d’un détail, dans la recherche d’une nouveauté. Tant et si bien qu’à force d’admirer le paysage, on traîne un peu en chemin…
Mais un tel guide reste un appui inestimable pour Johan Botha, qui prend ce soir le relais de Jonas Kaufmann, soliste d’un programme similaire donné à Dresde trois jours plus tôt. Adulé du Staatsoper de Vienne au Met de New-York en passant par Londres et Munich, le ténor sud-africain est toujours négligé par l’Opéra de Paris où, sauf erreur, sa dernière apparition remonte à 2000. Un interprète capable d’enchaîner, en une saison, Otello, Siegmund, Parsifal, l’Empereur de La Femme sans Ombre, André Chénier et Pedro de Tiefland (c’est le programme qui l’attend, en 2013-2014) n’est pourtant pas des plus fréquents. Surtout à ce niveau-là : la voix, à la fois claire et puissamment projetée, le legato jamais heurté par les sauts d’octave, l’élocution jamais heurtée par le legato… Tout cela est rare. Le vibrato, un peu large dans les premières mesures d’« All’mächtiger Vater », est rapidement contrôlé pour qu’au bout du compte rien n’entame l’intériorité et la sobriété de la prière de Rienzi. « In fernem Land », forcément déconnecté de tout son contexte dramatique, se déroule comme un grand Lied, ballade onirique sortie d’on ne sait où, que Botha prend soin de ne jamais alourdir. Surtout, le « récit de Rome » extrait du IIIe acte de Tannhäuser, est admirablement narré, sans que l’éloquence ne s’opère au détriment de la ligne de chant. Même en lisière de sa pleine maturité, Wagner, ainsi joué, nous fait déjà entrevoir le Walhalla !