Quoi de neuf, en matière d’art lyrique, dans la capitale ? A l’Opéra de Paris, Hänsel et Gretel ; à l’Opéra-Comique, Cendrillon ; et voilà que le Théâtre de l’Athénée en remet une couche, avec cette Blanche-Neige, servie sur un plateau par l’Opéra du Rhin, qui a pris l’habitude depuis quelques années d’offrir au public parisien le spectacle de son Opéra Studio. Ce fut jadis La Ronde de Philippe Boesmans, mais ces derniers temps il s’agit avant tout de spectacles dits « jeune public », comme l’Ali-Baba de Cherubini ressuscité en 2010. Il y a là une combinaison qui devrait arranger tout le monde : en attirant à l’opéra nos chères têtes blondes, on prépare l’avenir du genre lyrique, et en confiant la chose à de jeunes chanteurs, on permet à ceux-ci de faire leurs premiers pas dans des œuvres moins lourdes. Sauf que le calcul ne réussit pas à tous les coups, du moins d’un point de vue de lyricomane adulte.
La Schneewittchen de Marius Felix Lange est-elle destinée à s’inscrire durablement parmi les « opéras pour enfants » ? Rien n’est moins sûr, car le compositeur a bien de la peine à trouver le difficile équilibre entre une partition accessible aux oreilles profanes et la volonté de faire œuvre de créateur. On ne trouve donc ici ni les rythmes clairs susceptibles de s’imprimer aisément dans les jeunes esprits, ni la recherche sonore que peuvent attendre les amateurs de musique contemporaine. Seule la chanson des nains pourrait à la rigueur être reprise en chœur par un public enthousiaste. Quant aux qualités de la partition instrumentale, il aurait fallu pour l’apprécier qu’elle soit défendue par une formation plus subtile que les douze musiciens de l’Orchestre Lamoureux réunis pour l’occasion, ensemble bruyant et balourd. Vincent Monteil avait probablement obtenu un meilleur résultat de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg lors des premières représentations de ce spectacle en décembre 2012 et en janvier dernier, dans les trois villes desservies par l’Opéra national du Rhin.
Il aurait aussi fallu, pour que la réussite soit entièrement au rendez-vous, que la distribution soit convaincante, en particulier pour les rôles principaux. Seul artiste n’appartenant pas à l’Opéra Studio, Huub Claessens campe un miroir dénué d’éclat, desservi par son accent néerlandais dans les (trop) nombreux passages parlés qu’inclut l’œuvre. Hélas, pour cette quatrième représentation parisienne, les aléas du climat ont frappé : une annonce préalable signale que Laurent Deleuil est victime d’un refroidissement. Ce baryton que la critique a récemment encensé dans le rôle-titre d’Owen Wingrave n’est donc ici que l’ombre de lui-même, réduit à marquer la plupart du temps, ce qui prive le Marchand d’une grande partie de son impact. Le rôle du Prince, bref mais tendu, semble dépasser les moyens de Guillaume François, contraint à murmurer les notes les plus hautes. Les sept nains sont assez nettement caractérisés, avec des personnalités vocales bien distinctes (belle prestation de Sévag Tachdjian dans le rôle de l’aîné, graves abyssaux d’Andrey Zemskov en Ourson). Riche mezzo qu’on a déjà pu entendre dans divers petits rôles à l’OnR, Marie Cubaynes est – forcément – royale en méchante reine. Si elle a la silhouette de Blanche-Neige, Sahara Sloan n’en a vraiment pas la voix : timbre opaque dans le médium, aigu perçant, diction à peu près incompréhensible, le choix de l’héroïne n’a guère été heureux et ne contribue pas à susciter l’intérêt pour les mésaventures de la princesse (qu’aurait donné dans le rôle la charmante Anaïs Mahikian, ex-membre de l’Opéra Studio, dont on a tout juste le temps d’entendre quelques jolies notes en Ecureuil ou en Nain ?)
Dommage, car le spectacle réglé par Waut Koeken – on se souvient que son Aladin de Nino Rota fut une grande réussite, à l’OnR en 2009 – est fort joli, avec beaucoup de belles idées qui contribuent à la magie du conte (une forêt de miroirs, un cheval à bascule géant pour le Prince…). Le texte, dû au compositeur, paraîtra un peu redondant, qui respecte tous les épisodes du conte de Grimm, avec les visites successives de la Sorcière, et la version française bascule parfois dans une familiarité racoleuse, avec des jeux de mots pesants (« La Reine des belles ? La reine débile, oui ! », s’exclame le Miroir). Difficile exercice, décidément, que celui de l’opéra pour enfants (et pour adultes).