Il faut bien l’avouer, la présence de l’une des plus admirables parmi les jeunes chanteuses françaises dans cet Hippolyte et Aricie était une des grandes raisons qui pouvaient attirer le public à l’Opéra royal de Versailles en cette veille de Saint-Valentin. Hélas, trois fois hélas, après avoir brillé de mille feux en Rosine du Barbier de Séville à Saint-Etienne le mois dernier, Gaëlle Arquez s’est retirée alors qu’elle avait été une Aricie passionnée le 13 juillet 2012 à Beaune. Le concert que reproposait ce soir Raphaël Pichon à la tête de son ensemble Pygmalion n’était donc pas tout à fait le même, la distribution ayant subi plusieurs remaniements. Comme il l’avait fait l’année précédente pour Dardanus, le jeune chef avait opté pour la dernière des trois versions de l’œuvre que laissa Rameau ; en l’occurrence, ce choix s’avère moins spectaculaire, les modifications apportées par le compositeur concernant surtout le prologue, supprimé, et le cinquième acte, le plus faible dramatiquement, où le superbe « Plaisir, doux vainqueurs » est confié à une soprano plutôt qu’à un ténor. Le livret de l’abbé Pellegrin est loin d’être le meilleur sur lequel travailla Rameau, et ce remaniement ne le transforme pas en tragédie plus palpitante. L’orchestre est l’autre bénéficiaire de cette version de 1757, qui lui ajoute des couleurs et renforce certains effets. Malgré la noblesse et l’élégance de sa direction, qui contraste agréablement avec la frénésie de certains de ses confrères (et consœurs), malgré l’éloquence avec laquelle il ralentit et apaise paradoxalement la première intervention des Parques, malgré la qualité de l’orchestre et du choeur, Raphaël Pichon ne renouvelle pas l’excellente impression suscitée par sa première incursion ramiste, le drame ne prend pas vraiment, mais les chanteurs y sont sans doute pour quelque chose.
Ce n’est pas avec Samuel Boden qu’Hippolyte gagnera la consistance que parviennent rarement à y mettre les interprètes du rôle. Ce ténor britannique, d’une gracilité de petit oiseau, ne prend vraiment corps qu’au début du quatrième acte, avec l’air « Ah, faut-il en un jour perdre tout ce que j’aime », qui l’oblige enfin à sortir de sa réserve. A Edwin Crossley-Mercer on ne saurait en revanche reprocher un manque d’engagement : il incarne Thésée avec autant de conviction que s’il le jouait en scène, exploitant pleinement le grand rôle qui lui est ici offert et qu’il mérite. La voix est longue, à l’aise d’un bout à l’autre de la tessiture, et il la fait sonner avec une insolence qui relègue un peu ses partenaires à l’arrière-plan. Par comparaison, Jérôme Varnier sonne presque léger dans les aigus, malgré ses graves superbement caverneux. Benoît Arnould devait succéder à Thomas Dolié, entendu à Beaune en Tisiphone, mais c’est finalement Vincent Vantyghem qui reprend le personnage, où il semble moins à l’aise qu’en deuxième Parque, le trio qu’il forme avec Varnier et Francisco Fernandez Rueda étant bien plus harmonieux que les caricatures nasillardes qu’on a pu entendre ailleurs. Parmi les dames, on passera rapidement sur la Diane inexistante d’Anna Reinhold. Sollicitée en dernière minute, Aurélia Legay retrouve les petits rôles qui lui avaient été confiés en mai dernier au Palais Garnier, auquel elle ajoute celui d’Oenone, plus intéressant sur le plan théâtral. Sabine Devieilhe s’impose dans les airs des divertissements, qui correspondent à merveille à son timbre, et sa voix séduit bien davantage que celle d’Elodie Kimmel, propulsée au premier plan par la défection de Gaëlle Arquez : soprano anonyme et sans charme, elle ne peut faire vivre Aricie. Maria Riccarda Wesseling, enfin, serait sans doute une superbe Phèdre en scène, mais privée des avantages du théâtre, et annoncée souffrante, elle a du mal à s’affirmer, faute de graves vraiment sonores et d’une diction plus ciselée. Si un enregistrement de cet Hippolyte et Aricie devait s’ensuivre, espérons que chaque rôle trouve le défenseur le plus adéquat, parmi les différents casts qu’aura dirigés Raphaël Pichon.
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