Apparemment, la nouvelle production de La Favorite au Théâtre des Champs-Elysées a fait chou blanc. Depuis jeudi dernier, 7 février, date de la première représentation, les commentaires fusent de part et d’autre, au mieux désenchantés, au pire cruels. Indigente, ratée, bourbeuse : aucun adjectif ne semble assez sévère pour qualifier la mise en scène de Valérie Nègre quand l’interprétation musicale, elle, est plus épargnée. L’avantage, quand on arrive quelques jours après la bataille, c’est que l’effet de (mauvaise) surprise ne vient pas parasiter les impressions. Comme l’homme, le critique averti en vaut deux.
Que nous est-il donc donné d’apprécier dans cette création contemporaine d’une œuvre que l’on n’avait pas applaudi à Paris depuis belle lurette ? Certes pas la scénographie d’Andrea Blum, dont le dépouillement simpliste ne sied guère au genre grand-opéra auquel appartient La Favorite, ni la chorégraphie de Sophie Tellier effectivement ridicule. On a beaucoup glosé sur le travail de Valérie Nègre, s’étonnant qu’une élève de Patrice Chéreau ne sache pas mieux sculpter le geste et animer les corps. C’est faire preuve de peu d’indulgence. Si effectivement, les choristes sont faussement occupés et les protagonistes plantés en rang d’oignon le temps des ensembles, les airs et les duos montrent un réel travail sur le mouvement qui culmine dans le quatrième acte. Appelé à la rescousse au dernier moment pour remplacer Celso Albelo (voir brève du 8 janvier dernier), Marc Laho attrape à bras le corps une partition dont il faut bien reconnaître qu’il ne maîtrise pas tous les enjeux. Mais plutôt que de stigmatiser les approximations, saluons le courage et la diction de ce Fernand. Car à trop traquer les défauts d’un spectacle qui, nous sommes d’accord, n’est pas parfait, on court le risque de passer à côté de ses qualités.
Les chœurs de Radio France et du Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre national de France et la direction de Paolo Arrivabeni ont la plupart du temps été salués hâtivement. Il convient de redire la valeur de chacun, pris ensemble et séparément. Aucune boursouflure ne vient défigurer cette Favorite, appréhendée avec une justesse dramatique qui souligne les forces de l’ouvrage plus qu’elle en accuse les faiblesses. Loic Felix (Don Gaspar), Judith Gautier (Inès) sont aussi de vrais atouts qui réussissent à placer des personnages de second plan sur le devant de la scène.
Carlo Colombara n’est pas la plus limpide des basses mais son Balthazar porte en lui les germes de Don Ruy Gomez de Silva (Ernani) et au-delà de Padre Guardiano (La forza del destino) . Féroce, il balise le chemin qui va de Donizetti à Verdi.
Grippée lors des premières représentations, Alice Coote, à présent rétablie, peut montrer ce qu’elle est capable de faire du rôle de Léonor conçue aux dimensions sulfureuses de Rosine Stoltz (voir nos cinq clés pour La Favorite). A quelques bagatelles près, la prononciation du français est impeccable. La voix possède la largeur voulue avec un registre grave appuyé que la mezzo-soprano utilise à des fins d’expression. L’aigu n’accuse pas davantage de faiblesse, la ligne est assurée. De tels arguments jouent en faveur d’un chant qui s’épanouit au fur et à mesure de la représentation jusqu’à proposer dans le dernier acte un festival de couleurs. Trop à la limite. On ne se plaindra pas que la mariée fût trop belle mais l’émotion pourrait gagner un cran supplémentaire si les effets étaient mieux dosés.
Comment enfin expliquer que l’on n’ait pas tressé plus serrés les lauriers de Ludovic Tézier. Annoncé souffrant, le baryton entre sur scène comme un taureau dans l’arène. Son « jardins de l’Alcazar » demanderait plus de poésie, tout comme l’air qui suit, le splendide « Léonor ! Viens » que l’on aimerait moins gonflé de décibels. Mais, une fois rassuré sur son état de santé, l’interprète reprend ses droits et ajoute à un timbre envoutant une prestance et un phrasé d’une noblesse qui puise son inspiration à la source des plus grands : Endrèze, Ernest Blanc, Michel Dens, Gabriel Bacquier… Tous ces géants qui, en quelques notes, savent magnifier un tel répertoire, trop souvent déprécié. Dommage qu’à trop regarder l’arbre stylisé qui tenait lieu de décor au 3e acte, beaucoup n’aient pas vu la forêt qu’il cachait.