Oui, ce Roi Arthur mis en scène par Shirley et Dino est drôle, très drôle, et il faudrait vraiment avoir avalé son parapluie pour ne pas s’y amuser. D’ailleurs, même à l’Opéra royal de Versailles, le public est bon enfant, et quand Gilles Benizio demande au parterre de hurler à la lune comme les loups, à la corbeille de croasser comme des corbeaux et au balcon de coasser comme des grenouilles, tandis que l’orchestre fait la meute de chiens, tout le monde se prête de bonne grâce à l’exercice. Oui, Hervé Niquet mène son orchestre avec une énergie irrésistible ; oui, le chœur, très présent, est lui aussi plein de verve, vocale autant que scénique. Pourtant, l’euphorie d’ensemble ne doit pas faire oublier quelques notes discordantes.
Certains gags vont parfaitement dans le sens de la musique, et l’on admire autant qu’on rit quand les chevaliers d’Arthur, sommés de nettoyer par ce chef de plateau hilarant que campe Dino en personne, se cachent la tête dans leur seau pour mieux produire l’effet d’écho voulu par la partition dans « Come if you dare ». En revanche, il est dommage que pour le double chœur « Hither, this way », les effectifs ne soient pas plus nettement divisés en suivants de Philidel et suivants de Grimbald : la spatialisation voulue par Purcell en est comme gommée. Enfin, et c’est là qu’on ne peut plus adhérer, les deux derniers morceaux avant le chœur final, où l’inspiration du compositeur atteint des sommets, sont sacrifiés à la recherche du gag systématique. Si jusque-là, Purcell enfile les numéros guerriers, bucoliques, pittoresques ou séducteurs, il s’élève à un tout autre niveau avec « You say ’tis love » et surtout « Fairest Isle », et il est très difficile d’accepter qu’une musique sublime soit gâchée par un comique soudain indésirable. Pendant l’air de Vénus, les chevaliers ivres roulent sous la table et une dame de la Cour se cure les dents avec une fourchette, tandis que le duos soprano/basse se transforme en trio avec rivale indésirable qui ridiculise la chanteuse principale. C’est là que trop de gags tuent le gag, et que la musique aurait dû être mieux respectée. Quant aux interventions d’un Hervé Niquet en meneur de jeu, elles sont fort cocasses tant qu’elles se limitent à la voix parlée ; lorsqu’il s’improvise chanteur pour deux entractes, peut-être aurait-on pu en faire l’économie. Si les musiciens ont besoin de quelques instants pour refaire l’accord, on préfère nettement l’interprétation muette de « Mexico » de Francis Lopez par Gilles Benizio.
Quant à l’équipe vocale réunie, c’est celle-là même qui a créé le spectacle à Montpellier en juillet 2008, avant de le reprendre à Versailles déjà, en février 2011 ; seul Marc Mauillon a dû céder la place pour deux des quatre représentations à un Christophe Gay à la voix sans doute moins percutante, mais qui semble s’être tout à fait intégré à la troupe. Les deux sopranos ont un timbre plus généreux que ce n’est souvent le cas dans cette succession de petits rôles, mais l’on regrette que « Fairest Isle » ait été confié à Ana Maria Labin plutôt qu’à Chantal Santon-Jeffery, dont le soprano plus sombre aurait paré de riches couleurs ce sommet de la partition. Mathias Vidal est un ténor idéalement adaptée à ce répertoire et l’on apprécie son numéro de moine déjanté, digne de celui de Louis de Funès dans le film des Branquignols Ah les belles bacchantes. Roi Arthur hilarant, tantôt pusillanime, tantôt bourreau des cœurs, João Fernandes est une authentique basse mais sa voix semble ici moins bien se projeter que dans le répertoire français qu’il sert à merveille. De manière générale, on ne donnera pas pour modèle la diction anglaise des uns et des autres, et il a heureusement été prouvé jadis que l’on peut enchanter un public moderne en jouant dans son intégralité la pièce de Dryden pour laquelle ont été écrits les intermèdes de Purcell..