Pour inaugurer le bicentenaire Wagner, le théâtre An der Wien a voulu offrir une évocation des trois concerts par lesquels le compositeur avait choisi de se présenter au public autrichien en décembre 1862 et janvier 1863. Marc Minkowski a été choisi, et son orchestre interprétait le 5 janvier à Vienne le même programme que le lendemain à Versailles. En optant pour un chef qui, parti des XVIIe et XVIIIe siècles, a peu à peu atteint le XIXe, on a donc décidé de proposer une approche différente, moins rétrospective, qui situe Wagner non plus par rapport à ses héritiers mais par rapport à ses prédécesseurs et à ses contemporains (Minkowski fréquente beaucoup Berlioz depuis quelques années). Et comme Versailles affiche à la fin de ce mois-ci un concert où Jos Van Immerseel revisitera Saint-Saëns, Dukas et Ravel sur instruments « d’époque », il y a donc dans tout cela une certaine cohérence, et l’on pouvait s’attendre à ce que les Musiciens du Louvre dégraissent le mammouth, en servant un Wagner moins épais que ne le donnent les grandes formations symphoniques. D’autant plus qu’il ne s’agit plus cette fois de s’attaquer à une partition quasi-inconnue, comme ç’avait été le cas en 2009 lorsqu’avait été remonté le premier opéra du jeune Richard, Die Feen, en première française au Châtelet (que ce spectacle n’a-t-il été enregistré et filmé !).
Le concert de Versailles s’ouvrait pourtant sur une œuvre rarement donnée : l’ouverture Faust, composée à Paris en décembre 1839-janvier 1840. Comme souvent avec le Wagner de jeunesse, on discerne des phrases, des harmonies qui évoquent tout ce qui va suivre (la partition fut réorchestrée dans les années 1850), mais l’on a surtout l’impression d’entendre une sorte de Weber survitaminé. On passe aux choses sérieuses avec le prélude des Maîtres-chanteurs, que Marc Minkowski prend à un rythme très rapide, en soulignant le contrepoint qui relie cette page à tant d’autres, des siècles précédents. Venait ensuite le discours de Pogner, au premier acte. En chemise noire dont le col ouvert laisse entrevoir les fameux tatouages qui lui ont valu d’être chassé de Bayreuth cet été, Evgeny Nikitin interprète avec conviction, il joue comme s’il était en scène (il a notamment tenu ce rôle au Met en 2007). La voix est superbe, riche, avec une aisance insolente dans l’aigu qui n’empêche nullement la noirceur désirée dans les graves. Dans cet éloge du bourgeois comme seul protecteur des arts, la diction incisive du baryton-basse fait merveille ; à peine les R semblent-ils un peu trop roulés. Cette première partie de concert se termine avec l’ouverture de Tannhäuser, qui ne s’anime vraiment que vers la fin de la Bacchanale, avant la reprise du chœur des Pèlerins (comme Minkowski l’a lui-même expliqué durant l’une de ses interventions présentant les morceaux, il s’agit de la version de Dresde).
Après l’entracte, une nouvelle allocution du chef explique que, contrairement à ce que le programme indique, le prélude de L’Or du Rhin ne sera pas interprété parce qu’il ne fonctionne pas « hors du contexte », l’autre soliste vocal de la soirée fait son entrée, pour le Lied du printemps de La Walkyrie. Habitué au rôle d’Erik du Fliegende Holländer, Endrik Wottrich chante régulièrement à Bayreuth, où il fut Siegmund dans la Tétralogie donnée en 2006. Cependant, le ténor allemand ne semble pas à son meilleur : émission crispée, en force, timbre dénué de lumière, ce Völsung-là manque terriblement de jeunesse. Et le printemps prend à l’orchestre un caractère lénifiant qui nous éloigne encore un peu plus de l’enthousiasme qui devrait être associé au personnage. Après une Chevauchée des Walkyries sans chœurs ni voix solistes, hélas, mais dirigée avec fougue et où les instrumentistes se donnent à fond, le concert se conclut avec un sommet : les adieux de Wotan par Evgeny Nikitin. Dans un rôle qu’il n’a jusqu’ici chanté en scène qu’au Mariinsky, l’interprète dévoile une autre facette de son talent et montre qu’il est capable d’émotion aussi bien que de vaillance. Et l’incarnation s’appuie sur une science du geste qui laisse pantois. Le public salue par des applaudissements nourris cette belle performance, et Marc Minkowski accorde deux bis sans se faire prier (une reprise du chant d’amour de Siegmund, où Wottrich sonne un peu moins tendu, et une seconde Chevauchée), après quoi il souhaite à tous une bonne année 2013. Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE Celle des Musiciens du Louvre sera en tout cas wagnérienne, puisque Minkowski ressuscitera en mai prochain le Vaisseau fantôme de Louis Dietsch en même temps qu’il dirigera Der fliegende Holländer, entreprise qui s’avère d’ores et déjà passionnante.