Faut-il vraiment mettre en scène Le Messie de Haendel ? Mais non, s’exclameront les puristes. Et ils auront tort, car ce n’est pas la première fois que l’on s’y risque. A Vienne et à Nancy en 2009, Claus Guth avait su concevoir un spectacle très fort, en superposant au collage de textes de Charles Jennens une histoire située entièrement dans notre monde mais pour lesquelles les mots du livret semblaient avoir été écrits. Sans donner dans l’imagerie sulpicienne, Deborah Warner paraît hésiter entre deux options, entre le récit mystique et la transposition ici-bas, avec un résultat mitigé. Le décor se compose essentiellement de projections vidéos sur des écrans de tailles diverses, et le spectacle démarre assez bien, qui fait le choix explicite de la modernité : cieux nébuleux parcourus d’étoiles, images accélérées de foules en mouvement dans les rues et les gares (qui s’accordent fort bien avec le texte du chœur « All we, like sheep, have gone astray »). Mais très vite, l’iconographie biblique revient en force, avec anges annonciateurs, Vierges à l’Enfant et autres Christ en croix. Quand à ce qui se passe sur scène, on oscille là aussi entre le quotidien livré quasi-brut (une mère de famille fait du repassage, un SDF dort sur un banc du métro, un enfant saute à pieds joints sur le lit parental) et la transposition, à travers le recours à la chorégraphie. Il y a bien quelques jolies images, avec ces fleurs d’or qui descendent des cintres, mais aussi des moments assez vains, comme lorsqu’on plante au milieu de la scène les instruments de la Passion, pour mieux les retirer quelques minutes plus tard. La dernière partie, où la soprano meurt sur un lit d’hôpital avant que tous ressuscitent, répond à la première, où l’on suivait un accouchement dans un contexte semblable, mais Deborah Warner se dispense en fin de parcours de toutes ces références religieuses dont il n’avait pas su se passer au départ.
Alors que Lyon s’apprête à célébrer sa Fête des Lumières, l’Opéra n’a pas fait le choix classique d’une opérette pour sa fin d’année, mais d’une oeuvre tout aussi pieuse que ladite fête. Et il a fait appel à une distribution de solistes exclusivement britannique, ce dont il devrait y avoir tout lieu de se féliciter. Mais non. Enfin, oui et non. Car l’on gagne surtout en idiomaticité, et pas toujours sur les autres tableaux. On ne peut ainsi s’expliquer l’omniprésence de Sophie Bevan sur les scènes londoniennes : après avoir interprété de nombreux rôles à l’ENO, elle vient de chanter l’Oiseau de Siegfried à Covent Garden. Pourtant, cette voix n’a aucun charme véritable, car elle n’offre ni le brillant et le sourire qu’on pourrait attendre d’un soprano léger (comment croire qu’elle fut récemment Sophie du Chevalier à la rose ?), ni la richesse de timbre et l’expressivité qu’aurait une voix plus corsée. Mezzo peu sonore et avare de graves (comment a-t-elle pu chanter Erda à Munich ?), sa consœur Catherine Wyn-Rogers assure pour sa part un service minimum et ne tire à peu près rien des airs qui lui sont confiés, un comble pour « He was despised ».
Heureusement, les voix masculines offrent de tout autres satisfactions. Authentique ténor mozartien (on l’a entendu sur cette même scène en Don Ottavio et en Titus, ainsi qu’en Tom Rakewell du Rake’s Progress), Andrew Kennedy donne un sens à chacune de ses interventions et ne se contente pas d’aligner des notes. Bien connu du public français pour ses nombreuses prestations baroqueuses, Andrew Foster-Williams est toujours à son meilleur lorsqu’il ne cherche pas l’expressivité à tout prix, la véhémence qu’il imprime parfois à son discours ayant tendance à nuire inévitablement à la beauté du chant. Il montre ici une belle sobriété, même dans « The trumpet shall sound ».
Finalement, le vrai héros de ce Messie, c’est le Chœur de l’Opéra de Lyon, dont le travail éblouit par la précision avec laquelle sont mis en place les morceaux les plus exigeants en termes de virtuosité. Il faut reconnaît que les choristes sont en d’excellentes mains avec Alan Woodbridge, dont on se réjouit d’apprendre qu’il dirigera prochainement ici même la reprise de Curlew River de Britten. Conduit par un Haendélien de longue date comme Laurence Cummings, l’orchestre parvient à faire oublier qu’il se compose d’instruments modernes, tant il adopte les phrasés auxquels nous ont habitués les formations spécialisées dans la musique de cette époque.
Version recommandée :
Handel: Messiah | Haendel George Frederic par Interprètes Divers