« Quels Contes d’Hoffmann ? », s’interroge Marc Minkowski dans le programme de cette version de concert du chef d’œuvre d’Offenbach, salle Pleyel. « Ceux que le compositeur n’a pas eu le temps d’achever ? Ceux que le directeur de l’Opéra-Comique a fait amputer lors de la création en 1881 ? Ceux que les divers éditeurs et diverses traditions ont imposé depuis ? » Jean-Christophe Keck, « l’offenbachant suprême », apporte la réponse quelques pages plus loin : aucun de ceux-là mais une nouvelle version élaborée à partir de plusieurs options et hypothèses, qui se distingue par un grand nombre de récitatifs récrits, l’usage de certains airs alternatifs et un acte de Venise partiellement inédit, sans le septuor, ni « Scintille diamant ». En l’absence de partition définitive, cette version a au moins le mérite de la nouveauté et de l’efficacité dramatique, le choix de situer Giulietta après Olympia et Antonia, contrairement à la version Choudens qui a longtemps fait autorité, s’affirmant définitivement comme la meilleure solution.
Toujours dans le programme, Marc Minkowski revendique le fait de confier à la même interprète les trois rôles féminins, quatre si l’on compte le rôle de Stella invitée ici à participer au chœur final. Une gageure compte tenu des différentes vocalités requises pour chacune des incarnations amoureuses d’Hoffmann. Très attendue et très applaudie, Sonya Yoncheva ne résout pas tout à fait la quadrature du cercle. Des trois héroïnes, c’est évidemment Antonia qui lui correspond le mieux. Giulietta la contraint trop souvent à s’aventurer dans un registre grave qui n’est pas encore acquis, avec pour effet notamment une barcarole privée de brillant. Olympia, dont les limites du suraigu réduisent le champ de l’ornementation, apparait inhabituellement sage comparée au feu d’artifice auquel d’authentiques coloratures nous ont habitué. Antonia à l’inverse exalte l’éclat d’un chant intensément lyrique. La version de concert ne bride pas l’expression vocale et scénique. L’effort de caractérisation est notable, qu’il se traduise par le placement de la voix, l’attitude et des robes à chaque fois différentes, en accord avec l’esprit du personnage interprété. Ajoutons la puissance et la pureté du son, la qualité de la diction, remarquable pour une non-francophone, la pulpe d’un timbre qui n’est pas sans évoquer d’autres soprano venues de l’Est – Leontina Vaduva par exemple – pour convenir que Sonya Yoncheva est aujourd’hui une des seules capable de relever un tel défi.
Un chanteur unique pour les quatre valets semble en revanche couler de source surtout quand il est interprété avec autant de subtilité et d’humour par Jean-Paul Fouchécourt. Idem pour les quatre diables que Laurent Naouri réussit à rendre à chaque fois crédibles, même si, indisposition et fatigue aidant (les trois premiers actes sont enchainés sans pause) Miracle et Dapertutto le trouvent moins à l’aise, en retrait dans les ensembles et obligé parfois de recourir au parlando. Hoffmann sans faute de John Osborn, à l’image d’Arnold (Guillaume Tell) que le ténor proposait en 2011 au disque. Toutes les notes sont là, certaines intrépides rappelant d’ailleurs la bravoure rossinienne mais le chant, aussi vaillant soit-il, ne parait pas toujours habité de sens. Le contraire en quelque sorte de Michèle Losier, dont la nature de la voix a dû déconcerter les amateurs de muses opulentes mais dont l’intelligence de la composition, alliée à un aigu lumineux, emporte l’adhésion. Seconds rôles proches de l’idéal qu’il s’agisse du Spalanzani limpide d’Eric Huchet, des Hermann et Schlémil percutants de Marc Mauillon, de Laurent Alvaro d’une sincérité désarmante en Luther et Crespel ou encore de la mère d’Antonia de Sylvie Brunet, luxe absolu pour un rôle qui se limite à un trio. Fondé en 2005 par Mathieu Romano, formé d’une quarantaine de choristes, l’ensemble Aedes expose une cohésion et une clarté d’élocution hautement appréciables (ce n’est pas si souvent que l’on comprend le texte du chœur sans lire les surtitres !).
Marc Minkoski a beau diriger tambour battant avec des choix de tempi plus rapides que la moyenne, la soirée dure près de quatre heures. On ne voit pourtant pas le temps passer, captivé par l’éloquence de sa direction, les multiples effets sonores qu’il obtient de ses Musiciens du Louvre et la découverte de cette nouvelle version des Contes d’Hoffmann. « Le finale de l’acte de Giulietta, tel que vous l’avez entendu ce soir, n’avait jamais été joué auparavant à Paris » tient à préciser au moment des saluts le chef d’orchestre à un public conquis qui, au lieu de s’échapper pour prendre le dernier métro, manifeste debout son enthousiasme.
Version recommandée :
Offenbach: Les Contes d’Hoffmann | Compositeurs Divers par Interprètes Divers