Tosca est une lionne, Scarpia une brute obsédé sexuel. C’est essentiellement de leur confrontation que naît le drame et l’intérêt que l’on développe pour une histoire que l’on a vue cent fois. Mais si la magie n’opère pas, on s’ennuie ferme. A Erl, dans le cadre de la quinzième édition d’un festival réputé jusqu’à présent pour ses productions wagnériennes, Gustave Kuhn présente pour la première fois l’opéra de Puccini. Cette diversification de la programmation, déjà entamée les saisons précédentes, va se développer plus encore lors du festival d’hiver, dans la nouvelle salle en cours d’achèvement. Mais il est, dans le cas présent, des erreurs de distribution qui ne pardonnent pas.
La jeune chanteuse italienne Rossana Potenza d’abord ne peut prétendre être une Tosca. Elle n’en a ni la voix (elle a la puissance dans les aigus, mais son médium est très faible voire totalement inaudible) ni la maturité scénique. A vrai dire, elle aborde certainement le rôle beaucoup trop tôt (c’est la seconde fois qu’elle l’interprète). Il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir, ne serait-ce que pour retenir l’attention. Même, pendant la fameuse prière, il ne se passe rien (elle est d’ailleurs à peine applaudie). Le baron Scarpia du chanteur wagnérien américain Peteris Eglitis est l’autre maillon faible de la distribution. Son manque de puissance explique déjà qu’il ne soit jamais inquiétant : son entrée à la fin du premier acte passe presque inaperçue, et on l’entend difficilement au deuxième acte ; il faut dire aussi que la direction tonitruante de Gustave Kuhn ne l’aide guère quand il est en difficulté. Manque de soutien, émission hachée, voix paraissant à la limite de se casser, prononciation de l’italien hasardeuse, c’est vraiment l’un des plus mauvais spécimens de Scarpia que l’on ait jamais entendu. Ajoutons que la mise en scène plombe la représentation. L’ensemble, à mi-chemin entre une version de concert et une version scénique, est « sur-joué », comme si la production s’adressait à des esprits faibles. Et des choix hasardeux n’arrangent rien, notamment la mort de Scarpia, assassiné par Tosca à plusieurs mètres de distance à l’aide d’un couteau de cuisine brandi comme une télécommande de télévision ou comme un laser. « Meurs, je le veux », et Scarpia s’écroule foudroyé.
Que reste-t-il alors pour sauver la représentation ? Le jeune chanteur portugais Bruno Ribeiro qui, en Mario Cavaradossi, expose un chant alliant charme et projection, sans impression d’effort – les aigus sont éclatants, l’acteur est jeune et beau – le sacristain d’Oliviero Giorgiutti, tout à fait conforme à la tradition, sans les tics ajoutés si souvent par d’autres titulaires du rôle ; un excellent Sciarrone (Mattia Campetti), de très bons Angelotti et geôlier (Julian Orlishausen et Wade Kernot) ; le pâtre, chanté non par un enfant mais fort bien par la soprano Michelle Buscemi – on gagne en justesse ce que l’on perd en réalisme – et enfin des chœurs d’excellente qualité (84 choristes plus une quarantaine d’enfants du Wiltener Sängerknaben) qui contribuent à un éclat sonore souvent trop prononcé. C’est mieux que rien mais, pour le thriller puccinien, ce n’est hélas pas assez.
Version recommandée :
Puccini : Tosca (Intégrale 1953) | Giacomo Puccini par Victor De Sabata