« Le Ring selon Andreas Kriegenburg à Munich ne serait-il pas victime du syndrome de l’idée unique ? » nous interrogions-nous hier à l’issue du prologue de la saga wagnérienne (voir recension). Il semble que le metteur en scène allemand se soit posé la même question en reconsidérant son propos dès Die Walküre. Les corps qui formaient la matière première de Das Rheingold sont bien présents dans ce nouvel épisode de la série, non plus à l’état d’objets, plus ou moins inanimés, mais comme figurants à part entière. Proposition originale dans un opéra qui, scène des Walkyries mise à part, n’est qu’une succession de long duos et à ce titre ne requiert jamais plus de trois personnages sur le plateau. Ici, adieu l’intimité : la rencontre entre Sieglinde et Siegmund a lieu en présence d’une cohorte de jeunes femmes court-vêtues. Qui sont-elles ? Esprits de l’air, esprits de l’onde, dirait Esclarmonde. Fricka et Wotan règlent leurs comptes entre deux rangées de serviteurs obséquieux et des silhouettes capuchonnées brassent les cadavres tout au long du dialogue entre Brünnhilde et Siegmund. Comme dans L’Or du Rhin, certains effets sont bien vus, d’autres manquent le coche, telle la chevauchée des Walkyries, bruyante et peu imagée avec, en préambule, une danse tribale qui déclenche des protestations dans le public. Anecdotes. Là n’est pas l’intérêt du travail d’Andreas Kriegenburg. C’est la dimension théâtrale de sa proposition qui, comme la veille, continue de retenir l’attention, sans faiblir durant les quatre heures et quelque de cette Walkyrie. Une lecture, sans équivoque, qui ne cherche pas à interpréter mais à conter, et qui repose sur une recherche permanente du juste geste en adéquation avec les situations. Du théâtre tout simplement et du bon.
Cette vision de l’opéra-fleuve wagnérien entre en congruence avec la direction de Kent Nagano, narrative avant tout, soucieuse des chanteurs au point de brider le volume de l’orchestre. Une lecture sans aucun des excès lyriques que cette première journée du cycle peut susciter, ni plus rapide, ni plus lente que la moyenne, dominée par le soin porté au récit et l’équilibre entre les pupitres.
Hormis des Walkyries braillardes et poissardes comme une tribu de gauloises au marché de Lutèce, les chanteurs réunis frôlent l’excellence. Toute appréciation est donc ici plus que jamais affaire de subjectivité, même si l’on ne voit pas se que l’on pourrait redire sur Ain Anger, Hunding impressionnant de noirceur, sur Anja Kampe, Sieglinde incandescente au chant dévastateur, et sur Sophie Koch, dont la Fricka hier pouvait sembler discutable mais qui impose dans Die Walküre une déesse plus orgueilleuse qu’acrimonieuse avec un chic incontestable. Dans le rôle écrasant de Wotan, Thomas J. Mayer prête également peu le flanc à la critique, ne serait-ce que parce qu’il parvient à maintenir du début à la fin l’intensité de son chant. C’est avec la même vigueur, avec la même attention aux mots et aux notes qu’il affronte son épouse et que trois heures plus tard, il adresse des adieux vibrants à sa Walkyrie.
Prenez en revanche Klaus Florian Vogt, plébiscité par le public, son Siegmund possède dans la voix une jeunesse et une innocence qui fait du Walsung non plus un Rambo warrior comme on a coutume de l’entendre mais un équivalent vocal et scénique de Gérard Philippe au cinéma. Tant mieux, cela change de l’habitude, objectera-t-on, même si l’on apprécie davantage de bronze dans le timbre, de virilité dans le ton et un registre inférieur plus affirmé, condition indispensable pour que les « Walse » du premier acte remplissent leur office cathartique.
La rencontre de ce jouvenceau avec la Brünnhilde d’Irène Theorin, dont le grave n’est pas non plus le point fort, s’apparente à un dialogue de carpes. Pour le coup, on s’en accommode car l’on veut bien sacrifier peu ou prou un bout du deuxième acte contre les trois quarts du troisième. Là, n’ayant pas à se préoccuper de l’aigu, au contraire de bien des Brünnhilde en proie à un chant trop épais, la soprano peut exprimer à force de nuances et d’intentions l’éventail des émotions qui régissent sa confrontation à Wotan. Du théâtre et du bon, vous disait-on.
Version recommandée :
Wagner: Die Walküre | Richard Wagner par James King