Britten devait avoir encore bien des rêves d’enfants en tête lorsqu’il a conçu A midsummer night’s dream, cette œuvre féérique, mûrie plusieurs années avant d’être créée au festival d’Aldeburgh en 1960. Bien que réduisant d’une bonne moitié l’argument de la pièce de Shakespeare, Britten a su en rendre l’atmosphère magique qui faisait écrire au dramaturge :« nous sommes de la même substance dont sont faits les rêves »
Treize ans après une première production de ce chef d’œuvre du XXe siècle, l’opéra de Rome a confié à Paul Curran, habitué des univers de Britten, le soin d’exposer sa propre vision de ce Songe.
Nous ne cacherons pas avoir eu quelques craintes lorsque le début de l’opéra montre une réception donnée pour l’inauguration d’une œuvre nouvelle au sein d’un muséum d’histoire naturelle sponsorisé par une compagnie pétrolière, avec attachée de presse (Hermia) stressée par le retard et la maladresse de son photographe (Lysander) ; mécène-magnat en guise de duc d’Athènes et personnel du musée en lieux et places des artisans. Un vaste rideau circulaire blanc, qui servira ensuite régulièrement, masque la fameuse œuvre objet de la petite fête : un large et mystérieux escalier taillé dans la roche.Puis, à peine les convives partis, le jeune page indien objet de la dispute conjugale entre Oberon et Tytania, surgit de la base de cet escalier, suivi bientôt de jeunes fées et autres elfes particulièrement bigarrés.. Et durant tout le spectacle, ces deux mondes vont se mêler et se confondre avec virtuosité, donnant à la vision de Curran une vraie cohérence, à défaut parfois d’une vraie clarté. On a l’impression d’assister à un remake d’ « Une nuit au musée ». Sans doute le metteur en scène aurait-il pu s’abstenir de contraindre les jeunes couples Lysander/Hermia et Demetrius/Helena à se jeter au visage leurs propres habits lors du duel clôturant l’acte II, laissant les hommes en caleçon et leur partenaire en nuisette, faute de goût par ailleurs inutile pour faire ressortir une autre facette, certes plus bestiale, de l’érotisme sous-jacent de l’œuvre.
Mais c’est surtout l’exceptionnelle direction d’acteurs et l’homogénéité de la distribution qui font tout le prix de cette production, alternant moments de grâce et de sensualité et instants de drôlerie, culminant avec la représentation burlesque de la pièce des artisans (en l’espèce les employés du musée).
L’Oberon un brin autoritaire de Lawrence Zazzo fait honneur au rôle écrit pour Alfred Deller. Le contre-ténor relève le défi sans complexe, avec une voix manquant sans doute un peu de puissance, mais pas de nuances ni de clarté. Sa Tytania (Claudia Boyle) expose un soprano des plus séduisants, idéal pour ce rôle, capable de virtuosité dans les aigus et composant un personnage finalement peu dupe des manigances de son époux. Philipp Addis campe un Demetrius parfaitement idiomatique, un peu métallique mais sonore, qualité à laquelle s’ajoute à une excellente composition d’acteur. C’est un peu moins vrai pour le Lysander de Shawn Mathey, plus falot, mais qui ne démérite nullement. Leurs compagnes respectives ne soulèvent aucune réserve : ni l’Helena volcanique d’Ellie Dehn, ni l’Hermia de Tamara Gura, qui parviennent sans grande difficulté à jouer sur toute l’étendue de leur tessiture. Dans son rôle parlé, le Puck monté sur ressorts de Michael Battem époustoufle par sa grâce et son agilité, proprement phénoménales.
La drolatique équipe des artisans / employés du musée est irréprochable. Peter Rose déploie une voix de baryton-basse pleine d’autorité mais non dépourvue de subtilité, notamment lors de sa transformation en âne prompt à séduire Tytania. Aucun de ses camarades ne démérite, avec une mention particulière pour Anthony Dean Griffey, dont l’air de Tisbée restera l’un des moments les plus drôles et les plus accomplis de la représentation.
Le choeur de voix blanches de l’opéra montre une belle homogénéité, en particulier lors de l’ultime et merveilleux « Now, until the break of day », moment de grâce qu’on n’est pas près d’oublier.
James Conlon connaît son Britten sur le bout des doigts (on se souvient encore d’un Peter Grimes d’anthologie à Bastille il y a plus de 10 ans) et mène sa formation réduite au triomphe, façonnant à merveille les sonorités chambristes, les larges échos de Purcell que Britten aimait tant, mais aussi souvent orientalistes (les percussions !) de cette partition si originale et si ensorcelante, non sans lyrisme parfois. Et les musiciens lui en savent gré, qui lui réservent de vifs applaudissements à l’issue de la représentation.