Divertissement avant toute chose, l’opéra fut longtemps le lieu des productions spectaculaires : costumes somptueux, décors monumentaux (mais supposés être réalistes), « machines » à effets spéciaux, voire figurants pléthoriques…, les théâtres rivalisaient de moyens pour satisfaire un public de plus en plus exigeant. Au milieu du XIXe siècle, l’Opéra de Paris est sans doute le théâtre qui propose les mises en scène les plus fastueuses : Wagner ou Verdi rêvent d’y trouver la consécration, mais ils se méprennent sans doute sur les compétences purement musicales du public parisien. Le premier en fera les frais avec Tannhäuser en 1861 et le second se plaindra amèrement de « La Grande Boutique ». En 1897, désireux de faire oublier le piteux épisode wagnérien, l’Opéra décide de frapper un grand coup avec une production des Maîtres Chanteurs qui fera date par sa somptuosité, dépassant même la production de Bayreuth. Restée des décennies au répertoire, la mise en scène bénéficie d’une abondante documentation, tant sur le plan visuel (dessins, photos) que dramatique (carnets de scène détaillant le jeu des interprètes).
Désireux de proposer au public moderne un voyage dans le temps, Rémy Campos et Aurélien Poidevin ont choisi de remonter le premier tableau de l’acte III en tentant de restituer l’ambiance générale de la production d’origine. Le projet est une coréalisation entre l’Opéra de Paris, l’Ecole de Musique de Genève, l’Opéra de Versailles, le Palazzetto Bru Zane de Venise, défenseur de la musique romantique française du grand XIXe siècle et le lycée Jules Verne de Sartrouville (Lycée technique des Métiers du spectacle).
Ce type de redécouverte n’est pas totalement nouveau. La production d’Aida qui, en 1913, avait inauguré le festival des Arènes de Vérone, a été recréée par Gianfranco de Bosio en 1982, puis reprise avec succès de très nombreuses saisons. Certes, il ne s’agissait pas de toiles peintes, mais au niveau du jeu de scène en revanche, pas de souci de reconstitution historique : depuis 1913, les ténors se contentent invariablement de « faire passer les trains », les bras ouverts devant le trou du souffleur. Plus satisfaisante fut la résurrection par le Liceu de la production de 1945 d’Aida due à Josep Mestres Cabanes : le théâtre catalan avait la chance de disposer des toiles peintes originales qui furent soigneusement restaurées : le résultat fut un triomphe artistique et public, le spectacle étant repris de nombreuses fois par la suite.
La démarche présente est plus ambitieuse puisqu’il ne s’agit pas de reconstituer la seule scénographie mais jusqu’à l’esprit dramatique des représentations de l’époque, langue française comprise. Malheureusement, les moyens ne sont pas à la hauteur de l’ambition. Les productions de Garnier étaient célèbres pour leur luxe et leur sophistication : aucun autre théâtre ne proposait autant de « plans », c’est-à-dire des toiles peintes successivement disposées sur l’immense plateau, chacune proposant un trompe l’œil en corrélation avec le trompe l’œil des plans suivants. Nul doute que la procession des chœurs au dernier acte, ou la grande scène de confusion à la fin du II, n’aient produit leur petit effet en 1897 : un opéra à Garnier, c’était l’équivalent de la 3D au Dôme IMAX. Ici, il faut se contenter d’une scène intimiste limitée à 4 personnages (la cinquième n’intervenant qu’in extremis pour le quintette) qui n’est aucunement prétexte à une telle débauche. Le plateau de l’Amphithéâtre Bastille est très réduit et ne dispose d’aucune profondeur : le décor paraît artificiellement posé, sans relief et très mal éclairé. Sa réalisation n’est pas non plus satisfaisante : on dirait une carte postale géante, alors que les toiles peintes de l’époque jouaient avec la lumière (en utilisant des peintures plus ou moins réfléchissantes, par exemple). Visuellement, à la place d’un Spielberg en 3D IMAX, on a plutôt une version colorisée d’un film de Bergman. La reconstitution de la dramaturgie est plus intéressante, mais les interprètes ne semblent pas toujours y croire : il faudrait sans doute un travail de troupe, sur la durée, comme pour la renaissance du baroque, pour aboutir à une réalisation totalement convaincante. La version française est l’autre point noir : handicapés par la l’acoustique (étonnamment médiocre pour une salle de si petite taille) la compréhensibilité des chanteurs pâtit d’une réverbération excessive : si l’on excepte André Gass à la diction très claire, on ne comprend quasiment rien de ce qui se dit. A quoi bon dès lors monter l’ouvrage en français ?
Compte tenu des enjeux, la distribution est globalement correcte. Le Hans Sachs de Didier Henry est plein d’humanité, sans problème sur la tessiture mais la diction n’est pas claire. Ce n’est pas le cas du David très satisfaisant d’André Gass, déjà mentionné, à la voix claire et bien timbrée. Valerio Contaldo est un Walther sonore qui devra développer son legato. Le Sixtus Beckmesser de Marcos Garcia Gutierrez est correctement chanté, mais on attend plus de bouteille dans ce rôle et il ne semble pas croire au jeu de scène qu’on lui impose. Voix trop verte aux intonations douteuses, Leana Durney doit impérativement perfectionner sa technique avant de continuer plus avant.
Le piano d’Anne Le Bozec résonne un peu fort et a tendance à couvrir les chanteurs : on reste néanmoins admiratif de cet accompagnement attentif aux décalages, techniquement impeccable, durant plus d’une heure et quart. Il n’en demeure pas moins que la version piano de cette scène est assez pauvre musicalement.
Malgré ses défauts, la tentative recueille les applaudissements d’une salle pleine : une incitation à continuer ce genre d’expérimentations, mais avec davantage de moyens.