Léo Nucci est décidément toujours aussi impressionnant. L’un des rares véritables barytons Verdi du circuit est encore, à l’âge de 70 ans, dans une forme remarquable qui lui permet de tenir sans problème un rôle aussi lourd que Simon Boccanegra. Le vibrato n’est ni envahissant ni même gênant tandis que le timbre reste somptueux et à peine élimé dans l’aigu. Car évidemment, le temps a laissé quelques traces sur la voix du chanteur, mais celui-ci sait si admirablement gérer ces entraves qu’on reste émerveillé par la performance. Et puis subsistent l’art du chant, un legato souverain et cette présence scénique qui fait qu’on ne voit et n’entend que lui dès son entrée dans le Prologue. Il faut dire que le Fiesco de Bálint Szabó n’est pas du même acabit et souffre d’une voix plus banale et en manque de graves. Il ne marque guère, sans pour autant déshonorer le plateau. Bien plus convaincants sont par contre l’Amalia d’Isabel Rey et le Gabriele d’Aquiles Machado. La première affiche un beau timbre fruité qui n’est pas sans évoquer Mirella Freni. Tantôt frémissante dans son premier monologue, tantôt éperdue avec Gabriele, tantôt imposante face à tous les hommes qui l’entourent par la suite, elle réussit à plier sa voix aux différentes situations que lui offre ce magnifique rôle. On notera cependant une certaine fatigue dans le dernier ensemble où la chanteuse est obligée de respirer fréquemment, brisant ainsi la ligne mélodique descendante de ce splendide finale. Aquiles Machado quant à lui tient la forme toute la soirée, fait d’autant plus notable que le rôle de Gabriele est lourd et tendu. Ce jeune ténor vénézuélien à la fort belle voix, parfaitement conduite et avec des aigus éclatants, fait preuve de style et jouit d’une présence scénique non négligeable. Avec Isabel Rey et Leo Nucci, il forme une belle équipe qui culmine dans un superbe trio à l’acte II, distillant en prime une émotion palpable. Le Paolo de Massimo Cavalletti convainc tout autant par son engagement et donne une certaine consistance à son personnage.
Heureusement d’ailleurs que les chanteurs ont de la prestance et font passer quelque chose car ce n’est ni la baguette de Carlo Rizzi, ni, surtout, la mise en scène de Giancarlo del Monaco qui les portent. Carlo Rizzi déçoit en effet par une direction assez atone quand elle n’est carrément pas « plan-plan », or l’absence de théâtre est cruelle dans un tel ouvrage (par exemple pour la scène du Conseil). Même défaut dans la vision de Giancarlo del Monaco. On s’ennuie ferme devant cette suite de tableaux conventionnels, évoluant dans de grotesques décors mussoliniens, sans direction d’acteurs, sans aucune idée. On trouvera cela au mieux reposant, au pire consternant.
À noter que cette production sera reprise le 3 juillet avec Placido Domingo en Doge.