Pour son premier récital parisien, Vittorio Grigolo a concocté un programme qui, comme c’est désormais la coutume, puise largement dans son récent album « Arrivederci », avec quelques extraits tirés de son disque précédent « The Italian tenor ». De fait, c’est un programme cent pour cent italien qu’il nous propose en compagnie de ses deux invités, la soprano Carmen Giannattasio, que l’on a pu applaudir en Vitellia à Aix, l’été dernier, et le guitariste Daniele Bonaviri. La première partie, consacrée à l’opéra, s’ouvre avec un superbe « Angelo casto e bel », admirablement phrasé, qui met en valeur la clarté du timbre et l’élégance de la ligne vocale du chanteur. L’air s’achève sur un bel aigu piano malencontreusement perturbé par la sonnerie d’un téléphone portable dont le propriétaire essuie les invectives d’une partie de la salle. Bon prince, Grigolo excuse le fauteur de trouble (« Cela peut arriver à tout le monde ») et profite de l’interruption pour dédier le concert aux victimes du naufrage du Costa Concordia.
La grande scène de Corrado, tirée d’Il Corsaro de Verdi, montre les capacités du ténor à faire vivre un personnage : le récitatif est extrêmement dramatique et la cabalette – doublée – prise à un rythme échevelé, soulève l’enthousiasme du public. Dans l’aria, le ténor a parfois tendance à abuser de l’effet de « soufflet », une alternance forte/piano qui rend certaines fins de phrases à la limite de l’audible.
Vittorio Grigolo, qui fut ici-même, à l’automne 2009, un Rodolfo proche de l’idéal, réitère l’exploit en interprétant un « Che gelida manina » enjôleur, couronné par un aigu facile et brillant. Carmen Giannattasio lui répond avec un « Si, mi chiamano Mimi » tout en nuances, qui met en valeur son timbre riche et son registre aigu parfaitement contrôlé. Le duo qui conclut le premier acte de La Bohème se situe sur les mêmes cimes. En revanche, « E lucevan le stelle » pousse le ténor jusqu’aux limites de ses possibilités. Non que l’interprétation soit indigne, mais sa voix foncièrement lyrique, qui s’épanouit aisément dans l’aigu, ne possède pas l’assise nécessaire dans le bas medium et le grave, que réclame cet air.
Changement d’ambiance après l’entracte, avec un hommage à la chanson traditionnelle italienne et napolitaine à travers ses « tubes » les plus incontournables -de « O sole mio » à « Arrivederci Roma »- qui débouche sur un véritable show où Grigolo, sans se ménager, arpente la scène de long en large, esquisse un pas de danse, s’accroupit pour mieux charmer les spectatrices du premier rang, salue, un genou à terre et ne recule devant aucun effet, abusant des ports de voix et des aigus longuement tenus, avec un aplomb et un charisme irrésistibles. Tout cela fonctionne parfaitement, « Torna a Surriento » séduit, « Mattinata » émeut et la salle exulte, du moins jusqu’à un certain point car à l’heure des bis, le public lui réclamera « de l’opéra ! ». Ce sera « Amor ti vieta » suivi de « Libiamo » en duo avec Giannattasio avant une reprise de « Chitarra romana » destinée à mettre en valeur son guitariste.
À la tête d’un Orchestre Lamoureux parfois brouillon, Keri-Lynn Wilson propose une direction routinière et clinquante, couvrant parfois le chanteur, notamment au cours de la seconde partie, consacrée à un répertoire qui s’accommode mal d’un accompagnement aussi pléthorique. Dans les pages orchestrales, son prélude de La Traviata, sans âme ni pathos, tombe à plat tout comme l’inépuisable « intermezzo » de Manon Lescaut. Seule « La Tregenda », extraite des Villi, que l’on a rarement l’occasion d’entendre, parvient à convaincre.
A la fin du concert le ténor remercie l’auditoire, dit son bonheur d’être à Paris, et, s’excusant presque d’avoir chanté exclusivement en italien, clame son amour de la musique française qu’il promet d’interpréter au cours d’un prochain récital.
Au final, une soirée bon enfant, portée à bout de bras par un artiste attachant et généreux, mais dont le programme déséquilibré par une seconde partie qui s’étire en longueur, laisse sur leur faim les spectateurs qui attendaient davantage d’airs d’opéra. De fait, quelques-uns se sont éclipsés à l’entracte, d’autres avant la fin du concert.