Avant de se soumettre à la lancette inefficace et potentiellement meurtrière du prétendu ophtalmologue John Taylor, Haendel eut le temps de terminer ce Jephtha, après lequel il ne produirait plus que la révision de son Trionfo de 1707/1737, devenu The Triumph of Time and Truth en 1757. Il y a quelque chose d’émouvant à songer que l’on entend avec cet ultime oratorio une musique écrite alors que le compositeur se battait contre la cécité qui allait le rendre incapable de créer. Pour interpréter cette œuvre qui revisite la figure bien connue du père sacrifiant son enfant (Abraham et Isaac, Agamemnon et Iphigénie, Idoménée et Idamante…), la salle Pleyel a fort bien fait les choses. Certes, il s’agit d’une version de concert, où les solistes en tenue de soirée entrent et sortent au gré de leurs interventions vocales, néanmoins un effort a était fait pour lui donner un caractère théâtral : les chanteurs, sans partition ni pupitre, incarnent leur personnage par leurs gestes – on se donne la main, on s’étreint quand le texte l’exige –, par leurs mimiques ou leurs postures. Et cela n’est jamais ridicule, bien au contraire. William Christie confère à Jephtha un vrai souffle dramatique, et les Arts Florissants offrent une prestation impeccable ; le chœur excelle dans ses interventions martiales comme dans ses prières ferventes, et on l’admire en particulier dans la magistrale conclusion du deuxième acte, « How dark, O Lord, are thy decrees ». Dans le rôle-titre, on retrouve un grand Idoménée, Kurt Streit, qui a su conserver toute son agilité vocale malgré le passage des ans et un répertoire qui va désormais bien au-delà des rôles mozartiens qui ont fait sa célébrité. Il enchaîne les vocalises, darde ses aigus, et c’est à mi-voix, comme en apesanteur, qu’il susurre le sublime « Waft her, angels », l’air le plus connu de la partition. On placera au même niveau la toute jeune Katherine Watson, issue du Jardin des Voix, qui commence par gazouiller délicieusement, d’une voix fraîche et limpide, ce que Haendel a écrit pour Iphis, avant de se montrer tout aussi à l’aise dans le registre pathétique de la deuxième moitié de l’oratorio, où elle se mue sans peine en héroïne tragique. David DQ Lee lui donne fort bien la réplique, et leurs voix se marient à merveille dans l’unique duo de la partition. Le contre-ténor coréen se déchaîne dans son air belliqueux du deuxième acte, avec une belle énergie et quelques graves barytonnants. Le rôle de Zebul n’accorde à Neal Davies que deux airs, mais son implication théâtrale lui permet d’y briller. Quant à l’Ange, on se demande comment il put à la création être interprété par un enfant ! Rachel Redmond, qui fut Iris dans le récent Atys, quitte ses consœurs choristes pour venir interpréter d’une voix charmante les quelques phrases et l’air de ce deus (angelus ?) ex machina qui garantit le happy end de rigueur. Seule la prestation de Kristina Hammarström inspire quelque réserve. Non que la voix soit défaillante, ou que la chanteuse manque de raffinement, loin de là, mais on attend ici un investissement dramatique qui est absent. La mezzo suédoise ne donne pas assez de sens à son texte, elle ne le projette pas avec l’intensité que savent y mettre ses collègues anglophones, et l’on passe à côté de cette rhétorique des affects qui est l’essence de la musique haendelienne. Peut-être sa compatriote Anne Sofie von Otter pourrait-elle l’aider à mettre un peu de théâtre et de passion dans son chant ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite. |
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HAENDEL, Jephtha — Paris (Pleyel)
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Infos sur l’œuvre
Jephtha – Oratorio en trois parties, livret de Thomas Morell – Créé au Théâtre Royal de Covent Garden, Londres, le 26 février 1752
Détails
Iphis
Katherine Watson
Storge
Kristina Hammarström
Jephtha
Kurt Streit
Zebul
Neal Davies
Hamor
David DQ Lee
L’Ange
Rachel Redmond
Les Arts Florissants
Direction musicale
William Christie
Salle Pleyel, Paris, jeudi 24 novembre 2011, 20h
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Jephtha – Oratorio en trois parties, livret de Thomas Morell – Créé au Théâtre Royal de Covent Garden, Londres, le 26 février 1752
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Kristina Hammarström
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