Reprise d’un spectacle donné en 2008, cette Médée semble avoir davantage séduit la critique que le public, qu’elle laisse un peu décontenancé devant un parti pris aussi radical.
Dans un décor fait de miroirs et de néons, dont le centre figure un bac à sable, Warlikowski le démiurge superpose des éléments contemporains et des réminiscences des années 50. Le public aura été préparé, pendant l’ouverture et dès avant le début du spectacle, par des projections d’archives familiales filmées datant de ces années-là, et montrant tour à tour un mariage dans la classe moyenne ou des enfants en blouse dans une cour d’école. Toute la mise en scène vise semble-t-il à actualiser le mythe de Médée, femme délaissée que le chagrin pousse à la folie, au point de tuer ses propres enfants pour meurtrir leur père. Les tribunaux hélas connaissent des histoires semblablement sordides. Ce qui rend l’œuvre intéressante, celle d’Euripide comme celle de Cherubini, ou des nombreux autres compositeurs qui se sont attaqués au même sujet, c’est qu’elle tente de montrer la grandeur des personnages au travers de l’horreur des situations, par la beauté du texte ou de la musique. Et c’est précisément ce que Warlikowski ne veut pas faire : sans aucune prétention de style, il ramène tout au premier degré du drame, nous présente Médée comme une petite junkie vulgaire, déboussolée, tatouée et alcoolique, rend dérisoire et pitoyable la furie de son personnage ; en lui donnant pour trait une caricature de l’époque contemporaine, il gomme toute grandeur tragique : le mythe universel s’efface devant la réalité crue et, malgré la virtuosité de la réalisation et son côté spectaculaire, l’opéra perd beaucoup en émotion et en pouvoir de conviction. En poussant l’adaptation jusqu’à réécrire les dialogues – en les simplifiant considérablement, (Si je m’unis à vous j’ai tout à redouter devient ainsi ne me touche pas ou je fais une connerie – il n’est pas sur que la littérature y gagne au change…) Warlikowski isole totalement la musique de Cherubini, le seul élément auquel il ne touche pas, et qui dès lors paraît bien décalée. L’œuvre est asservie à la mise en scène.
La tension très vive entre cette conception visuelle radicalement contemporaine et les efforts (largement couronnés de succès) que fait Rousset dans la fosse pour respecter à la lettre l’esprit et le style de la partition est poussée à son comble. Voix immense mais pas toujours précise, Nadja Michael parvient à dominer les difficultés de son rôle (sur lequel planera toujours comme un regret l’ombre tutélaire de Callas) et incarne avec beaucoup de vigueur et d’engagement mais sans grand raffinement les conceptions du metteur en scène. Il en va de même pour le Jason de Kurt Streit, aussi peu distancié que possible, timbre corsé dans l’aigu, peut-être pas tout à fait assez léger pour souligner l’esthétique française de la musique de Cherubini. Plus subtil, Vincent Le Texier est un excellent Créon ; Hendrickje Van Kerckhove campe une Dircé pure et un peu sotte avec conviction tandis que Christianne Stotijn prète sa très belle voix au rôle plus nuancé de Néré.
Si l’oreille s’y retrouve, l’œil et surtout l’esprit, peu stimulé, restent en revanche perplexes.