C’est une donnée acquise, on ne va pas à Erl pour les décors, les costumes ou la mise en scène. Le théâtre de la Passion (1 500 places) ne dispose que d’une petite scène, au fond de laquelle l’orchestre et les chœurs sont étagés. Ce Tannhäuser se déroule donc entre quatre ou cinq harpes désassorties, quelques sièges contemporains et un triangle central où Venus se vautre jambes écartées, entre lesquelles Tannhäuser vient se réfugier. Les créatures du Vénusberg portent des culottes de dentelle transparente, et les autres costumes oscillent entre Burne Jones et Rossetti, mais du genre « zut, j’ai oublié de retirer le cintre avant de mettre la veste ». Cerise sur le gâteau, les chœurs féminins portent la plus incroyable collection de chapeaux verts aux formes extravagantes. Si l’on ajoute le cyclorama qui se colore en vert, mauve et jaune, et une espèce de lustre années 50 qui descend du plafond, on a fait le tour de la question.
En revanche, côté musical, la plus haute qualité est toujours présente, faisant d’Erl l’un des rendez-vous incontournables des programmations wagnériennes internationales. Gustav Kuhn est un des spécialistes incontestés de ce répertoire ; sa direction est d’une grande précision, et il tire de l’orchestre un résultat du niveau des plus grandes scènes internationales ; les chœurs sont également exceptionnels de finesse et de détail, alliant qualité de la prononciation au sens des nuances. Quant aux solistes, ils sont tous remarquables. Dès la fin du premier acte, le Mexicain Luis Chapa s’impose comme un très grand Tannhäuser, à la voix lyrique, forte et incisive, parfaitement adaptée au second acte à l’hymne à Vénus, qu’il défend très brillamment. Et loin de se fatiguer comme certains, il gagne encore en puissance et en musicalité au fil de la représentation. Le Wolfram de Michael Kupfer est d’une belle qualité vocale, il a une belle prestance et beaucoup de présence, et sa « Romance à l’étoile » constitue un très beau moment. Le landgraf de Thomas Gazheli peut paraître un peu effacé à côté de ces deux fortes personnalités, son rôle imposant plus de réflexion et de mesure ; mais vocalement, le résultat est tout aussi convaincant. Séduction, magnétisme, crédibilité du jeu, Mona Somm (Vénus) ajoute à ces qualités un physique adéquat, ainsi qu’une voix puissante et bien projetée, et de grandes qualités musicales. À côté de ces excellents éléments, l’Elisabeth d’Arpiné Rahdjian peut paraître un peu sage, mais tel le veut le rôle ; la voix est claire et puissante avec de très beaux accents, et fort bien assortie aux autres protagonistes. Les quatre chevaliers défendus par Julian Orlishausen, Michael Doumas, Wolfram Wittekind et Ferdinand von Bothmer, ainsi que les quatre Edelknaben (Chiara Albano, Helena Lackner, Luana Maiorano et Irene Ripa) ont délivré une fort belle prestation, montrant bien tout l’intérêt de l’important travail préliminaire musical de Gustave Kuhn qui, un peu à la manière de Glyndebourne, prépare au sein de son Accademia di Montegral tous ses « poulains » à affronter de nouveaux rôles.