Pier Luigi Pizzi, directeur artistique du Sferisterio Opera Festival de Macerata, a choisi pour sa 47e saison lyrique le thème : « Liberté et Destin ». Un ballo in maschera n’a pas été joué ici depuis 1975, mais l’on a gardé en mémoire cette magnifique série de représentations avec Luciano Pavarotti dans le rôle de Riccardo. Le grand mur du Sferisterio reste cette année encore entièrement dégagé de tout décor, servant d’immense écran où sont projetés les surtitres et, sur trois espaces, des vues générales et des gros plans filmés en direct sur scène. La qualité de ces projections en noir et blanc fait penser à la fois au cinéma noir américain des années 50 et au néo-réalisme italien. Mais, effet pernicieux, leur présence est telle qu’elle détourne l’attention de l’espace scénique… Belle américaine rouge, mobilier Knoll, Ulrica afro-américaine patronne de secte donnant ses prédictions devant une assistance essentiellement féminine, des drogués dans un garage abandonné, l’Amérique des années 60 est réduite à ces quelques clichés dont on ne comprend pas très bien le rapport avec l’œuvre. Donc une production peu innovante, que le « chic pizzien » (très beaux éclairages de Sergio Rossi) ne réussit pas à rendre vraiment attrayante, mais à laquelle la direction de Daniele Callegari donne le souffle nécessaire, tant à un orchestre de qualité qu’à d’excellents chœurs.
Riccardo est l’un des rôles de ténor les plus importants de tous les opéras de Verdi. Stefano Secco domine très nettement la distribution : musicalité, raffinement, intelligence du texte et de la scène, voix à la fois incisive et nuancée, il fait merveille dans le rôle et confirme qu’il est, dans ce type d’emploi, l’un des meilleurs du moment. Le rôle d’Amélia demande un grand soprano, proche de la Leonora de La Forza del destino et annonçant déjà, dans l’émotion, Desdemona. Teresa Romano, annoncée, mais dont la prestation se serait révélée insuffisante au fil des répétitions – d’après le chef d’orchestre et le metteur en scène –, n’assurera que la seconde représentation. Elle est remplacée quasiment au pied levé pour la première par Viktoriia Chenska (opéra de Kiev) ; celle-ci, qui montre une belle présence et un jeu scénique particulièrement convaincant, est néanmoins gênée par les aigus qu’elle force plus qu’elle ne chante ; en revanche, dès qu’elle allège sa voix, elle parvient à être parfaitement dans le rôle et à donner une interprétation vocale de qualité et souvent émouvante. Renato est interprété par Marco Di Felice qui semble s’économiser et qui ne parvient vraiment à s’imposer que dans son grand air du troisième acte. Oscar, l’élément un peu « zébulon » et distrayant, qui devrait être joué d’une manière à la fois légère et distanciée, avec les cascades de trilles venues de la tradition (Selma Kurz à Londres au début du XXe siècle), est rendu bien fade par Gladys Rossi, honnête tâcheronne peu aidée par son personnage (la secrétaire de Riccardo) et par les positions trop souvent assises que lui impose la mise en scène. Ulrica enfin, l’une des grandes « sorcières » du théâtre lyrique, est défendue sans les outrance habituelles par Elisabetta Fiorillo, magnifique contralto, mais dont le médium a déclaré forfait, tandis que les aigus du début, à la fois criés et peu stables, ont mis nos oreilles à dure épreuve. Les petits rôles sont fort honnêtement interprétés.
En conclusion, une soirée somme toute agréable, mais pas triomphale.