On a beau dire que le Stabat Mater de Rossini tient plus de l’opéra que de la musique religieuse, son interprétation dans cette nécropole chrétienne qu’est la Basilique de Saint-Denis n’a rien de déplacé. L’acoustique même du lieu, en floutant les contours, estompe une virtuosité inconvenante pour une œuvre dont le texte décrit la douleur de la Vierge Marie au pied de la Croix.
La direction de Myung-Whun Chung, amorcée avec solennité par un « Introitus » d’une rare ferveur,n’en récuse pas pour autant cette écriture souvent décalée parce que trop théâtrale. Dans un tempo plus rapide que la moyenne, le chef fait peu à peu gonfler les voiles d’un Orchestre Philharmonique et d’une Maîtrise de Radio France qui lui obéissent au doigt et à l’œil. La tension ainsi accumulée se libère non pas comme habituellement dans l’exaltation de la double fugue conclusive mais un peu avant, dans la fureur d’un « Inflammatus » qui ferait passer le « Dies Irae » du Requiem de Verdi pour un doux aquilon.
L’art fragile, bien que toujours sensible, de Patrizia Ciofi s’y consume. Projetée dans ce brasier sonore, la soprano tente en vain de surmonter les imprécations de l’orchestre. L’aigu se déchire, le medium et le grave se calcinent. A tout prendre, la tendresse du « Quis est homo » sied mieux à cette voix dont on devine derrière les larmes du « Sancta Mater » la Gilda qu’elle chantera le mois prochain à Orange.
Ce « Quis est homo », écrit sous forme de duetto, révèle aussi l’union harmonieuse de deux timbres que l’on n’aurait pas forcément appariés tant l’un et l’autre sont particuliers. A tort. Comme sa consœur, Vivica Genaux y présente son meilleur visage. La mezzo-soprano, habitué à un répertoire moins romantique, peine sinon à épouser la ligne d’une écriture trop droite. La voix, conditionnée par ces vocalises en rafale qui ont fait sa réputation, oscille dès que les notes escaladent la portée.
Arturo Chacón-Cruz apparaît également exotique mais pour une raison inverse. Ce n’est pas une vélocité baroque hors de propos qu’évoque le chant du ténor mais, tout aussi anachronique, le romantisme tardif de Werther : une ardeur combinée à un velours dont il tient le secret de son compatriote et mentor Ramon Vargas, la souplesse en moins.
Finalement, le seul à vraiment baigner dans son jus reste Mirco Palazzi. Le chanteur dont on a repéré l’étoffe sombre depuis plusieurs années à Pesaro, possède toujours cette humilité et cette intériorité qui font merveille dans le registre sacré. Et ce que l’on retient pour finir de la soirée, ce sont dans « l’Eja, mater, fons amoris » les réponses de la basse aux interrogations du Chœur, comme des gouttes d’encre sur un papier marbré.