Les reprises sont parfois l’occasion de retrouvailles avec des spectacles marquants des saisons passées. La production d’Otello par Andrei Serban créée en 2004 sous l’ère Gall méritait-elle un tel honneur ? Nous en avions gardé un souvenir plutôt mitigé, dont la recension à l’époque rend compte plutôt fidèlement. Or la mise en scène ne s’est pas réellement bonifiée avec le temps.
Certes les décors aux arcades ombragées et murs chaulés sont élégants, rappelant le cadre chypriote de l’intrigue, mais était-il utile de surligner le tout avec des barbelés en fond de scène ? L’ouverture tempétueuse est particulièrement bien rendue avec ses flots rugissants projetés sur le rideau en avant-scène, mais en contrepartie, on ne peut taire des éclairages agressifs qui passent du jour à la nuit de façon erratique au beau milieu d’une scène. Pourquoi faire chanter le « credo » de Jago à l’avant scène devant un rideau noir sinon pour tenter de camoufler un manque d’inspiration. Et que dire de la direction d’acteur : pour quelques mouvements de foule bien réglés (la rixe du premier acte) on doit supporter un Otello égaré, abandonné la plupart du temps bras ballants. Enfin on retrouve avec horreur (ou fou rire c’est selon) la scène finale et son Otello revêtu de ses peintures de guerre, répandant des plumes noir corbeau autour du lit de son épouse. Encore heureux, la pauvre Desdemone ne meurt plus étouffée sous son oreiller (comme c’était le cas lors de la création de cette mise en scène) mais plus décemment étranglée dans son voile virginal.
Plus que la reprise d’un spectacle inabouti, l’évènement ce soir est donc le retour de Renée Fleming à l’Opéra de Paris après son éclipse totale durant le mandat de Gerard Mortier.
Et on la retrouve telle qu’on l’avait laissée, ou presque. D’abord, la silhouette, magnifiée par les robes de soirée, est toujours svelte et gracieuse. Le timbre, s’il semble moins charnu, n’a rien perdu de son soyeux… dans l’aigu tout au moins, la cantatrice tentant par divers artifices de faire oublier un medium moins rayonnant et projeté que jadis, ce qui nous vaut parfois des effets de « croonage » bien peu élégants. Dans la scène finale cependant, la magie opère pleinement, la chanteuse déployant tous ses atours, aigus rayonnants, mezza voce comme suspendues… Elle est accueillie aux saluts par des acclamations enthousiastes !
L’entourage ne suscite pas le même engouement.
On remarque d’abord chez le ténor letton Aleksandrs Antonenko des sonorités plutôt engorgées et un métal manquant de séduction (plus acier inoxydable que bronze moiré !). Ses qualités se révèlent pourtant au fur et à mesure de la soirée : endurance remarquable qui laisse le chanteur en pleine possession de ses moyens pour la scène finale et une puissance sonore très confortable. Les quelques tentatives d’allègement ne se révèlent en revanche pas des plus concluantes, menaçant la stabilité de la voix. Mais qui peut mieux chanter Otello actuellement ? Son Jago (Lucio Gallo) ne fait pas dans la dentelle. La voix noire colle bien au rôle mais une tendance à forcer, une émission peu homogène et des accents aux intonations douteuses rendent cette âme damnée définitivement peu recommandable.
Les seconds rôles sont plutôt bien distribués, du Cassio élégant mais un peu falot de Michael Fabiano, à l’Emilia frustre mais sonore de Nona Javakhidze.
A côté de la belle prestation de la reine Renée, l’autre satisfaction de la soirée aura été à rechercher du côté de l’orchestre et du chœur. Le ton est donné dès l’impressionnante tempête d’ouverture, véritable maelstrom sonore ! La direction de Marco Armiliato, très attentive aux chanteurs, sait également bien varier les atmosphères ; le chef est aussi à l’aise dans les climax que dans l’élégie de la chanson du saule.
Antoine Brunetto