L’Opéra de Bordeaux rend hommage à Jane Rhodes récemment disparue1, en lui dédiant ces représentations de La Belle Hélène. Il parait en effet légitime d’honorer celle qui, à l’orée des années 1970, contribua à anoblir un répertoire que l’on avait pris l’habitude de confier à des chanteurs de deuxième catégorie. Pour autant, on aurait tort de penser que de grandes voix suffisent à résoudre tous les problèmes posés par l’opéra-bouffe en général et La Belle Hélène, en particulier.
Maria-Riccarda Wesseling, qui à Bordeaux interprète la Reine de Sparte, compte déjà à son palmarès Octavian, Carmen, Idamante, Iphigénie et autres rôles exigeants tant vocalement que scéniquement. Suisse d’origine, elle maîtrise parfaitement le français. Aussi bonne actrice que chanteuse, elle se glisse dans le personnage avec une facilité que beaucoup peuvent lui envier. Est-elle pour autant La Belle Hélène ? Non, pas exactement, car il en est de la fille de Léda comme de Carmen ou d’autres grandes héroïnes de l’art lyrique : promue au rang de mythe, elle catalyse des attentes qui dépassent le cadre d’une simple interprétation. Outre l’aisance scénique, Maria-Riccarda Wesseling a toutes les notes requises, une technique suffisamment aguerrie pour se jouer des quelques acrobaties vocales que lui réserve la partition (notamment celles périlleuses de « L’homme à la pomme » réalisées ici avec beaucoup de subtilité). Alors ? Peut-être eût-il fallu plus de rondeur dans le timbre, d’opulence dans le grave, de brillant dans l’aigu, tous ces pigments qui, mélangés, habillent l’épouse de Ménélas d’une sensualité allégorique.
Est-ce la raison pour laquelle la mise en scène repose moins sur la personnalité du rôle-titre que sur le physique avantageux de Sébastien Droy (dont Frédéric Maragnani exhibe à l’envi un torse qui pourrait figurer en devanture de la nouvelle boutique d’Abercrombie & Fitch sur les Champs-Elysées) ? Le ténor qui a déjà interprété Pâris à Lausanne et à Strasbourg avec un talent également souligné par Christophe Schuwey2 et Pierre-Emmanuel Lephay3 ne semble pas à Bordeaux au meilleur de sa forme. La prononciation reste châtiée mais en limitant l’usage de la voix mixte, Sébastien Droy ôte au fils du roi Priam une grande partie de ce qui fait son charme : l’insolence et l’éclat. De fait, le chant parait raide, l’aigu souvent tendu et l’acteur embarrassé par un personnage qui hésite entre Elvis Presley et Fonzie (de la série TV Happy Days).
Il serait cependant injuste de faire porter le chapeau d’une déception toute relative aux seuls protagonistes. La mise en scène de Frédéric Maragnani peine aussi à trouver le ton juste.
Retoucher un livret dont certaines répliques peuvent sembler datées est un mal inévitable. On a ici évité le pire : les dialogues sont actualisés avec modération et sans vulgarité. On déplore en revanche la suppression de la scène du jeu de l’oie et d’une partie du duo d’amour (dont on ne comprend pas la mutilation, cette page étant l’une des plus remarquables de la partition).
La transposition de l’intrigue au milieu des années 1960, dans un quartier de Bordeaux nous vaut la reproduction de décors réels (la caserne des pompiers de La Benauge et la piscine de Bègles) ainsi que des costumes à l’avenant. Le parti-pris n’est pas suffisamment exploité pour que l’on puisse comprendre, sans lire le programme, que ce décor urbain abrite l’entrepreneur Ménélas et sa femme « qui soupire d’amour pour le beau mécanicien, qui pourrait être l’employé de son époux ». L’œuvre d’Offenbach ne s’en porte pas plus mal. Elle supporte plus difficilement une scénographie limitée et la chorégraphie répétitive de Faizal Zeghoudi qui s’acharne à faire exécuter au fil des actes les mêmes pas de jerk à quatre éphèbes plus ou moins dénudés.
Passons vite sur le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux que l’on a connu plus vigoureux et sur l’Oreste de Christine Tocci qui recueille aux saluts un succès que l’on n’explique pas. La direction de Claude Schnitzler, si elle privilégie le détail au mouvement, ne manque pas de verve. Surtout, on apprécie le trio désopilant que forment Rodolphe Briand (Ménélas), René Schirrer (Agamemnon) et Philippe Ermelier (Calchas). Sans rien retirer au mérite des deux barytons, on a souvent connu Agamemnon et Calchas réjouissants. Mais un Ménélas aussi drôle que bien chantant s’avère suffisamment rare pour qu’on lui réserve la place normalement dévolue au meilleur : celle de la fin.
1 Lire l’hommage que nous lui avons consacré
2 Lire le compte-rendu de La Belle Hélène à Lausanne en décembre 2008
3 Lire le compte-rendu de La Belle Hélène à Strasbourg en décembre 2010