Il y a maintenant seize ans de cela, nous découvrions Nathalie Stutzmann sur scène. C’était à Nancy, salle Poirel – un écrin parfait pour la musique de chambre. Ce soir-là, avec la complicité d’Inger Södergren, la contralto donnait un récital dédié au lied et à la mélodie française. Nathalie Stutzmann nous avait laissé le souvenir d’une maîtrise éclatante, teintée d’une retenue que nous avions pris – injustement – pour de la distance. Qui aurait pu imaginer que cette admirable chambriste, passée récemment à la direction d’orchestre, se prendrait un jour de passion pour les opéras de Vivaldi ? À la tête d’Orfeo 55 – l’ensemble qu’elle a créé –, elle vient pourtant de publier Prima Donna, un album entièrement consacré au Prêtre roux (lire le compte rendu enthousiaste de Bernard Schreuders dans nos colonnes). Une demi surprise, à vrai dire, car la chanteuse avait déjà fait une apparition remarquée dans l’intégrale de la Verità in Cimento dirigée par Jean-Christophe Spinosi.
Pour son récital à Gaveau, Nathalie Stutzmann, en pleine tournée promotionnelle (le stand Deutsche Grammophon à l’entrée nous le rappelle…), n’a pas voulu proposer au public une simple version live de son disque. Le programme du concert, qui ne reprend que partiellement celui du CD, fait ainsi la part belle aux pièces instrumentales, parmi lesquelles le superbe concerto pour basson & cordes RV 493 – un clin d’œil aux premières amours de la chanteuse. En choisissant d’ouvrir la soirée par le concerto n° 2 pour deux violons & violoncelle, Nathalie Stutzmann démontre d’emblée ses talents de chef. Nerveuse mais jamais frénétique, sa direction est aux antipodes d’une bonne partie de celle de ses confrères – à l’image de son chant, exempt de toute outrance expressive.
Dès les premières notes, la chanteuse balaie nos appréhensions. Passant sans difficulté de l’espièglerie de « Lascia almen » aux fureurs rauques de « Con la face di Megera » (un extrait de Semiramide donné en bis), Nathalie Stutzmann fascine par la variété de ses inflexions. Medium dense, aigus veloutés, graves confondants de naturel : la chanteuse est en grande forme. Si son agilité ne rivalise pas avec celle de ses consœurs aux gosiers plus athlétiques (voire mécaniques…), elle exécute les traits virtuoses avec une sensibilité qui leur restitue leur valeur expressive. Son « Io sento in questo sono » est un enchantement. Mais c’est dans « Sovvente il sole » que la chanteuse – soutenue par l’archet attentif de Thibaut Noally – atteint des sommets d’émotion.
De quoi faut-il s’émerveiller ? De l’excellence du style ? de la subtilité du phrasé ? de la beauté de la ligne vocale ? A-t-on jamais entendu aussi fine musicienne dans ce répertoire ? Même lorsqu’elle chante, Nathalie Stutzmann – battant, du pied ou de la main, la mesure – garde un œil sur ses musiciens. Entre le timbre – rare et troublant – du contralto et la sonorité – dense et sombre – de l’orchestre, l’osmose est soigneusement entretenue, au point que la voix semble parfois se confondre avec les instruments. Bien sûr, il se trouvera des esprits chagrins pour faire remarquer que ce chant tout en nuances passerait sans doute mal la rampe : l’air de Licida, « Gemo in un punto e fremo », en particulier, manque quelque peu de tranchant et d’impact.
Ovationnée par un public que l’on aurait aimé encore plus nombreux pour un récital de cette qualité, Nathalie Stutzmann interprètera deux airs supplémentaires avant de bisser l’ultime mouvement de la Sinfonia de l’Olimpiade. Comme si la chanteuse, in fine, avait voulu s’effacer derrière le chef d’orchestre. Quel dommage…