Belle après-midi de musique à Liège une fois encore pour une production qui par ses multiples atouts, risque de se définir comme un des temps forts de la saison en cours. Avec ce retour du difficile Otello de Verdi après quelques quinze ans d’absence sur la scène mosane, Stefano Mazzonis, le directeur général de l’ORW s’essaie une nouvelle fois à la mise en scène et confirme l’ensemble des qualités que nous avions déjà eu l’occasion d’apprécier, la première étant le talent rare de rassembler autour de lui une équipe d’une cohésion exemplaire. Des métiers de théâtre qu’il invite, on retient les luxuriants costumes de Fernand Ruiz et les superbes éclairages de Franco Marri. Le résultat est sobre, clair, efficace et d’une belle humilité artistique.Une mention particulière pour des Chœurs particulièrement engagés.
Vocalement, il faudra nuancer le propos. Les seconds plans opèrent plus qu’à satiété dans ce beau travail d’ensemble. On retiendra l’Emilia de Sophie Fournier qui se révèle progressivement lors des derniers tableaux ainsi que le Cassio idéal de Cristiano Cremonini : projection exemplaire et belle différenciation de timbre avec l’Otello du jour. Ce qui frappe également lors de ce spectacle dans lequel on est happé dès les premières mesures, c’est la sobriété vocale et musicale de chaque participant. Aucune caricature ne sera au programme et Dieu sait combien des personnages comme Iago peuvent être grimés de l’excès le plus vulgaire. Giovanni Meoni, nous épargne cela. Le baryton manque sans doute de ce que les italiens dénommeraient un rien de squillo, de ce métal verdien qui participe à une autorité vocale de toute manière en voie d’extinction. Largeur et de projection font défaut à son Iago. Néanmoins, il dessine un personnage d’une psychologie aigüe, raffinée comme peut l’être le Mal et surtout, il chante et plus encore, fait de la musique.
Tout le monde ici sait notre admiration pour la Signora Dessi dont nous avons à plusieurs reprises vanté les mérites. Elle était d’ailleurs la raison principale de notre déplacement. Il nous faut relater un vécu en demi-teinte face à la prestation de cette immense personnalité. Daniela Dessi est encore et toujours la sensibilité et la sensualité faites femme. Dieu que cette cantatrice est belle en scène ! Grâce, économie du geste et du trait, le métier de Dessi est le métier des plus grandes. Heureusement, car on sent qu’il lui est précieux jusqu’au dernier acte où elle délivre enfin pleinement pour nous, ce qui a fait sa renommée amplement méritée. Cette après-midi, l’instrument nous est apparu timide, comme tardant à se réveiller d’un vibrato dont la soprano est consciente d’ailleurs et qu’elle dissimulera intelligemment et musicalement avec force nuances. Sa Desdemona psychologiquement en finit par paraître effacée, sauf lors d’un dernier acte où en communion totale avec le Maestro, elle rend par son art, un bel hommage à Tebaldi ou Pobbe. Dessi a souffert d’allergies cette semaine (Liège est recouverte proprement de pollen cette année…) Nous espérons que ceci explique cela ou peut-être s’agit-il tout simplement une après-midi où l’instrument fut un peu plus paresseux. Nous formons le vœu de retrouver cette grande Dame du chant au meilleur de sa forme pour sa Leonora (Il Trovatore) qui ouvrira la saison prochaine à Liège.
Fabio Armiliato réussit son challenge et force le respect ainsi que l’admiration par sa prise de rôle. Otello, le rôle des rôles, sans doute aux ténors ce que Norma est aux soprani. Loin de ses terres natives italiennes, l’occasion était belle, idéale même au côté de son épouse, dans un théâtre régional, à l’exposition raisonnable. Mais la plus belle opportunité restera sa collaboration avec le chef qui était l’homme de confiance et de la situation. Armiliato se situe quelque part entre en grand lirico et lirico spinto. Il n’est pas par nature le dramatique désiré. Là aussi, chercher ce type vocal verdien fait partie des nombreux défis difficiles à relever. Armiliato, en belle forme, nous a touché plus d’une fois par l’intelligence de la gestion des moyens. On excuse rapidement quelques broutilles dans l’aigu paradoxalement dues au fait que le ténor est très sollicité dans le médium. Dans un rôle moins central, ces notes n’auraient posé aucun problème. Armiliato tout en s’engageant, gère et dose son investissement vocal avec une grande clarté. Plus encore son Maure est parfaitement crédible voire émouvant. On s’attache rapidement à son personnage. Une réussite sans nul doute.
L’immense triomphateur est le chef italien Paolo Arrivabeni. On sort de l’opéra vaincu par cette immense personnalité mettant son métier, un goût sans faille et un amour des chanteurs, au service d’une partition dont la trame dramatique et la fluidité du discours musical apparaissent au commun des mortels comme autant d’évidences. Arrivabeni est une rareté dans le paysage culturel européen. Le public liégeois mesure de plus en plus la chance inouïe de voir attaché à leur maison une personnalité d’une telle stature, d’une telle diversité artistique et d’une telle humilité professionnelle. Cette après-midi, l’émotion était au pupitre central.