Deux ouvrages lyriques de Rameau rarement joués et interprétés par Les Arts Florissants ? La Salle Pleyel est pleine et le public attend avec gourmandise ce nouveau concert de William Christie, nommé pour l’occasion Intendant royal des plaisirs. Le premier ouvrage est un « Ballet héroïque » où Rameau met en scène le poète grec Anacréon, chantre de l’amour et autres ivresses, et compose pour lui (il a alors 71 ans !) un hymne lumineux baigné par la chaleur du printemps et de l’été quand s’épanouissent « les vrais plaisirs (qui) ne sont dus qu’à l’ivresse de nos âmes » comme chante le chœur.
William Christie, avec une verdeur sans cesse retrouvée, lui donne vie de façon impressionnante. Oublions la mythologie et le livret banal pour n’écouter que la musique qui dit et raconte tout. Elle est bien terrienne et a l’odeur des foins fraîchement coupés et de la paille accueillante des granges, quand, sur les nappes des déjeuners champêtres, le vin sèche au soleil. La musique d’Anacréon est, en effet, constamment inspirée des danses populaires et campagnardes de l’époque qui rythment tourments, griseries et passions au son des tambours et des tambourins (le percussionniste David Joignaux est un spectacle à lui tout seul). Qui mieux que Christie pour mener ces rondes et ces torpeurs qu’affectionne Rameau, préludes à tous les orages d’été?
Pour peu on danserait avec les musiciens, manifestement ravis qui, assis ou debout, se surprennent plus d’une fois à trépigner eux-mêmes. Pour remplacer le ballet, Jean-Yves Ravoux a réalisé une discrète mise en espace. Pari risqué mais réussi, à base de délicatesse, de simplicité et d’une touchante sensibilité. Le public est aux anges. A part le vétéran Alain Buet (Anacréon), les chanteurs solistes sont tous très jeunes. Autour du poète, virevoltent deux sopranos, Emmanuelle de Negri (la prêtresse) et la cantatrice franco-marocaine, Hanna Bayodi-Hirt, qui rayonne en scène et dont la beauté du timbre fait oublier certaines intonations hasardeuses. Le chœur est toujours aussi remarquable.
Avec Pygmalion, on change de registre. On y chante toujours l’amour mais, cette fois, le fantasme devient réalité. La musique tient souvent du grand opéra. Le premier air, « Fatal amour », relève plus de la tragédie lyrique que de l’opéra-ballet et l’orchestre y a un rôle essentiel, en constant dialogue avec le chanteur. L’œuvre est quasiment un monologue et, à part quelques courtes interventions solistes ou chorales, le rôle de Pygmalion se taille la part du lion. Il fallait un interprète à la hauteur (c’est le cas de le dire, quant on songe à la tessiture aiguë du rôle !). Le jeune ténor anglais (oh pardon : « Haute-contre à la française », pour parler baroque) Ed Lyon est magnifique : une voix légère au timbre chaud et qui porte loin, capable de négocier la redoutable tessiture de Pygmalion avec une aisance confondante, un physique et une présence de jeune premier et surtout une immédiate sympathie. Nous avions déjà remarqué ce musicien et cet acteur hors pair, dans The Fairy queen à l’Opéra Comique en janvier 20101. Sa maîtrise et son engagement forcent l’admiration. Le public en redemande à la fin et Ed Lyon reprend avec le chœur « L’Amour Triomphe », juste après la contredanse enlevée qui conclut l’ouvrage. « L’Amour triomphe, annoncez sa victoire…Il la trouve dans nos plaisirs ». Le public jubile : sur les autels d’Eros et de Bacchus, « Les Arts Flo » ont su délicieusement bousculer la vertu de Melpomène et de Terpsichore (« à la française » évidemment).
Marcel Quillévéré