On sort de cette représentation des Contes d’Hoffmann avec une impression très mitigée. Car se mêlent d’une part une distribution globalement solide et un ensemble musicalement cohérent, et d’autre part un parti-pris théâtral et une « direction d’acteurs » contestables. Il est certain que Paul-Émile Fourny n’est ni Robert Carsen (Opéra Bastille) ni Olivier Py (Opéra de Genève), ça se saurait. Mais même la production de l’Opéra Comique dans les années 60 était bien supérieure à ce qui nous est ici proposé. La production est construite sur les versions Choudens (avec donc l’air du petit coq, le septuor de l’acte de Venise et « Scintille diamant »), et Oeser (avec notamment le sublime final), plus quelques ajouts et coupures ici ou là (notamment la reprise du « je suis aimé d’elle »). Lors de sa création en 2009 à l’Opéra de Nice (cf. le compte-rendu de Philippe Ponthir) avec une distribution entièrement différente, c’est Annick Massis qui interprétait les quatre rôles féminins.
D’aucuns ont parlé des coupes budgétaires pour justifier une production « cheap » : mais, pour ne citer qu’une production réalisée avec encore moins de moyens, on se rappelle avec beaucoup plus d’intérêt de celle de Dmitri Bertman (Opéra Hélikon) présentée au Théâtre des Champs-Élysées en 1999. Ici, le décor de Louis Désiré se compose d’un immense rideau rouge qui s’enroule et se déroule sur lui-même au centre de la scène dans d’énormes bruits de moteurs. Des accessoires baroques marquent les actes : une table à roulettes pour la taverne (pardon, c’est vrai que l’on n’est pas dans une taverne, il paraît que – comme chez Carsen – on est dans les coulisses d’un théâtre, ce qui explique peut-être les ridicules acrobates et danseuses en tutu ?), une énorme, monstrueuse et hideuse tête de poupée pour Olympia, un gramophone gigantesque pour Antonia et une fort belle demi-gondole – toujours les économies – (je plaisante bien sûr) pour Giulietta. Les costumes du même Louis Désiré sont parfois beaux mais le plus globalement incohérents (perruques Louis XV et bonnets de skieurs entre autres), plombés de mélanges de styles et de genres. Les éclairages de Patrick Méeüs sont trop crus avec en prime deux énormes gamelles bien dirigées vers le public, arrosant généreusement les yeux des spectateurs des vingt premiers rangs. Que dire de plus… Tout cela est lourd et laid. S’y ajoutent une mise en scène et une direction d’acteurs peu originales de Paul-Émile Fourny, qui paraissent également sans cohérence, entachées qu’elles sont de tous les poncifs des productions de ces 20 dernières années. Bref, tout cela paraît bien laborieux, au point qu’à de nombreuses reprises on s’ennuie ferme, avec l’irrésistible envie de regarder sa montre.
Les chœurs sont plutôt moyens, avec des décalages quand ils sont (trop souvent) en coulisses, avec aussi des forte uniformes et désagréables (ah, cette fin du prologue !). Et la direction d’orchestre de Kaspar Zehnder accentue tout cela : après une attaque prometteuse, l’orchestre est souvent trop fort, sans grandes nuances, avec un côté flon-flon accentué quelque peu germanique ; et si le chef regarde constamment les chanteurs, il ne fait pas de grands efforts pour rattraper le moindre décalage.
Fort heureusement, le plateau est globalement plutôt de bonne qualité. Et tout d’abord les trois vedettes féminines. Isabelle Philippe joue une Olympia malsaine et de cauchemar, au point qu’Hoffmann en paraît lui-même horrifié. Et quand Olympia vient se frotter le derrière sur ses genoux (jeu scénique d’une suprême distinction !), cela ne semble pas lui faire le moindre effet… La cantatrice allie grâce et musicalité à une sage pyrotechnie vocale : de toute évidence, elle va devoir abandonner bientôt cet emploi, ce qui fait d’autant plus regretter qu’elle n’ait pas assuré – comme à Saint-Céré (cf. notre compte-rendu) – les quatre rôles. Son Antonia aurait été très supérieure à celle de Michelle Canniccioni, qui crée un personnage intéressant et très plausible, mais entaché d’un vibrato envahissant. Quant à Julie Robard-Gendre, elle a tout, physique et voix, pour faire une Giulietta de qualité, mais est curieusement quelque peu en décalage de style avec le reste de la distribution féminine.
Qiu Lin Zhang (la mère d’Antonia) chante honorablement son rôle, malgré la présence primaire de personnages du grand opéra rappelant, pour ceux qui n’auraient pas compris, que la mère d’Antonia était cantatrice ! Éric Martin-Bonnet (Luther et Crespel) et Pierre Doyen (Hermann et Schlemil) chantent fort bien et composent des personnages intéressants. En revanche, chez Yvan Rebeyrol (Nathanaël et Spalanzani), le jeu scénique outré et les éclats de voix n’arrivent pas à masquer les défauts vocaux. Quant à Pierre Espiaut (Andrès, Cochenille, Frantz et Pittichinaccio), la vacuité et la répétitivité de ses interventions scéniques vont malheureusement de pair avec sa mauvaise interprétation de l’air de Frantz (absence des nuances) augmentée d’un tripatouillage musical inacceptable.
Nicolas Cavallier (Lindorf, Coppelius, Dr Miracle et Dapertutto) assure la présence maléfique avec une autorité de bon aloi, sans que jamais sa prestation ne bascule dans l’outrance. Très proche de l’économie de moyens (dans ce rôle) d’un Gabriel Bacquier, il a par ailleurs la force et la noirceur vocale nécessaires : une fort belle interprétation, à la fois puissante, musicale et inquiétante. Marie Lenormand est un Nicklausse et une Muse tout aussi excellente. Le couple qu’elle compose avec Hoffmann fonctionne très bien, et elle a surtout l’autorité scénique nécessaire pour mener l’action plutôt que de simplement la suivre comme tant d’autres. Vocalement, la voix est belle et puissante, et l’interprétation d’une réelle musicalité.
Hoffmann, enfin, est chanté par Florian Laconi qui continue une ascension rapide vers le vedettariat. Il faut dire que le chanteur est fort brillant, bien dans la lignée de Villazon (qui a été brièvement à Bastille un Hoffmann d’une qualité et d’un brio vraiment exceptionnels). La voix est insolente de mordant et de puissance. Mais si sa technique et sa santé vocale sont excellentes, rappelons que chanter Hoffman trop souvent à 33 ans peut devenir suicidaire, l’exemple en est justement tout proche. Donc prudence. Côté jeu, l’artiste a également d’immenses qualités d’aisance scénique ; son Hoffmann, lunaire et incrédule, est très original, même si l’on ne sait trop quelle part est sienne est quelle part vient du metteur en scène (il arrive que son jeu soit parfois en décalage avec ce qu’il dit) ; il campe un personnage type « gendre idéal », bien propre sur lui, pas angoissé métaphysiquement pour un sou, et prenant les événements comme ils surviennent. Plus puceau en goguette que tombeur, visage pâle et yeux grands ouverts à la manière des acteurs du cinéma muet, il butine allègrement de dame en dame, au gré des événements, et nullement rebuté par les échecs finaux. Un personnage étonnant et une magnifique prestation.
Pour conclure en antithèse de mon compte rendu de la représentation d’Orphée aux Enfers à Dijon la semaine dernière, j’ajouterai que la totalité du plateau a ici une prononciation parfaite, et que les surtitres sont donc totalement inutiles : preuve que cela est possible…