C’est avec un immense plaisir que l’on retrouve cette production, datant de 2006, de La Belle Hélène d’Offenbach mise en scène par Mariame Clément à qui l’on a dû depuis ici-même une mémorable production de Platée qui se plaçait d’emblée comme une vraie alternative à la célèbre production de Laurent Pelly.
Le même Laurent Pelly a également monté une belle Belle Hélène au Châtelet mais c’est à la production originale et raffinée de Mariame Clément que va décidément, tout comme pour Platée, notre préférence.
Ce spectacle enchanteur, drôle sans (trop d’) outrance (quelques allusions à notre monde contemporain remplacent celles du temps d’Offenbach : il est certes inutile de faire de la reconstitution mais il n’est sans doute pas utile d’aller trop loin dans le sens inverse !), transpose joyeusement l’histoire dans les années 1900 dans un grand studio de cinéma. Hélène est bien une reine, mais du cinéma muet, donc tout aussi capricieuse – sinon odieuse – qu’une femme de pouvoir ou qu’une… diva !
Un mythe (celui du septième art) se substitue donc à un autre (l’Antiquité), mais, en plus, c’est toute la troublante ressemblance entre le faste du cinéma de cette époque – dont Mariame Clément caricature les clichés – et celui du grand opéra français – dont Offenbach caricature les clichés – qui est ici évoquée.
Le plus incroyable est que cette substitution (qui est donc bien plus qu’une fainéante transposition), loin de n’être qu’une (très bonne) idée, fonctionne de bout en bout. Calchas devient un réalisateur colérique, Ménélas et Agamemnon les producteurs (tout dévoués à leur reine : le logo de leur maison de production parodie d’ailleurs celui de la MGM sauf que c’est un petit chien qui remplace le lion !), Oreste le « fils de son père » (plusieurs allusions à Jean Sarkozy…), le choix de Pâris sur le Mont Ida (ici Hollywood !) entre trois déesses devient une cérémonie des Oscars (drôlissimes vidéos où la tête de Pâris se superpose aux images réelles de films d’époque), le sacrifice en l’honneur d’Adonis du premier acte devient quant à lui le tournage d’un péplum, etc.
La grande élégance des décors et des costumes (qui ne virent jamais à la caricature), l’ingéniosité de la scénographie (l’utilisation de la scène tournante est particulièrement réussie et originale), la formidable direction d’acteurs sont autant d’éléments qui transforment l’essai et qui font qu’on ne s’ennuie pas une seconde dans ce monde onirique, nostalgique mais aussi poétique et élégant.
On retrouve cette même élégance dans la prestation musicale qui nous est offerte ce soir.
À commencer par une formidable direction de Claude Schnitzler qui ne cherche à faire de La Belle Hélène, ni une opérette (à la manière de ce que l’on faisait un peu dans les années 1960-70), ni un opéra (à la manière de ce que faisait, ici-même à Strasbourg, Alain Lombard à la fin des années 1970) mais en fait ce qu’elle est : un opéra-bouffe, un juste milieu entre opéra et opérette. Ni trop léger, ni trop lourd. Les tempi sont adéquats, le discours allant, sans être précipité, et il y a un savant équilibre orchestral (parfaitement rendu par l’efficace et bel Orchestre Symphonique de Mulhouse) qui favorise toujours la clarté du propos. Par exemple, le pupitre des percussions ne domine pas l’ensemble (grosse caisse et cymbales sont d’une grande discrétion : merci !). Mais surtout, il y a cette poésie et cette distinction qui rendent aussi à cette musique toute sa « noblesse ».
L’équipe de chanteurs est d’une grande homogénéité. Certes, quelques chanteurs font sentir l’usure du temps mais qu’importe, le travail d’équipe est tel que l’on est emporté par un spectacle on ne peut plus finement réjouissant.
Stéphanie d’Oustrac reprend le rôle d’Hélène qui lui va si bien. Avec un timbre soyeux, une ligne de chant parfaitement conduite et maîtrisée (graves poitrinés jamais outrés par exemple, comme aimait parfois le faire Jane Rhodes, une autre grande – et belle – Hélène), un jeu scénique parfait, c’est une incontestable réussite.
A ses cotés, le Pâris de Sébastien Droy frôle la perfection. Timbre superbe, physique de jeune premier, grande aisance scénique, il maîtrise sa difficile partie (plusieurs ut dièse dans la partition !) en sachant alléger sa voix et faire preuve d’une finesse qui ne tourne pas à la mièvrerie mais aussi en faisant preuve de vaillance lorsqu’il le faut (« Je suis Pâris ! »). En cela, il réussit une admirable quadrature du cercle.
Le Ménélas de Steven Cole est, selon nous, parfait lui aussi. La manière dont ce chanteur américain offre un chant fin, sinon précieux, sans accent (chose cependant encore perceptible dans quelques passages parlés), colle parfaitement au personnage voulu par Mariame Clément. Il est en outre d’une grande drôlerie.
René Schirrer, hormis quelques aigus un peu moins aisés que par le passé, semble inusable. Nous avons beaucoup d’admiration pour cet artiste qui semble né sur les planches. Autant à l’aise dans les numéros chantés que dans les passages parlés, il campe un parfait Agamemnon.
Le Calchas de l’épatant Frank Leguérinel est lui aussi plein de verve, tout comme la formidable Caroline Fèvre en Oreste. Les autres rôles sont également très bien campés par de véritables artistes, aussi bons chanteurs qu’acteurs… mais avec une telle directrice d’acteurs que Mariame Clément, rien d’étonnant !
Un mot sur l’édition choisie, celle de l’incontournable Jean-Christophe Keck, qui consacre sa vie à Offenbach, car elle offre une grande place (une juste place) aux dialogues parlés et nous permet d’entendre des numéros parfois coupés, telle cette scène du jeu de l’oie où la mise en scène se fait soudainement un peu plus sage comme pour attirer notre attention sur la grande qualité de la musique…
Mais ce que l’on retiendra surtout de ce spectacle, c’est cette finesse, cette tendresse, cette poésie, cette émotion à fleur de peau telles qu’on peut les saisir dès la vidéo projetée pendant l’introduction orchestrale : sur le premier thème, allant et rythmique, on voit un chef en ombre chinoise battre mécaniquement la mesure tandis que sur le deuxième thème, celui des très mélodieux couplets de Pâris, on voit ce même chef s’envoler dans les airs : le monde du rêve s’ouvre à nous, l’imagination décolle…
Et c’est sur une même image aérienne que se terminera le spectacle puisque Pâris et Hélène embarqueront pour Cythère… en avion ! C’est aussi à ce moment où les deux personnages se retrouvent enfin, et où ils vont pouvoir vivre pleinement leur amour, que la couleur fait son apparition dans un spectacle jusque là tout en noir et blanc (avec quelques touches de brun, évoquant le sépia des photos de nos grands-parents). Cette palette soudainement élargie semble comme ouvrir de nouveaux horizons aux personnages mais aussi au monde du cinéma : le parlant, la couleur et le cinémascope (pour lesquels la guerre de Troie à venir sera un excellent sujet !) ne sont pas loin. C’est à ce genre de « détails » (pensés ou offerts à l’imagination du spectateur) que l’on mesure toute la profondeur du travail de Mariame Clément. Chapeau Madame, et merci.
Prochaines représentations :
Mulhouse, La Sinne : dim 9 janvier 15 h, mar 11 janvier 20 h, jeu 13 janvier 20 h
Colmar, Théâtre municipal : ven 21 janvier 20 h, dim 23 janvier 15 h