Vive la joie ! Vive l’amour…Telle est la conclusion de cette Fiancée vendue au titre trompeur. Bien que située dans un univers beaucoup plus léger, on a rapproché son climat féerique tendre et joyeux de celui de La Flûte enchantée.
À l’époque où Smetana entreprend à Prague ses études musicales, en dépit de la germanisation d’une société engloutie dans l’Empire Austro Hongrois, il subsiste une musique bohémienne et des mœurs paysannes. C’est donc sur elles que s’appuiera le compositeur pour réveiller le sentiment national. L’industrialisation favorisant un combat pour retrouver une identité culturelle et linguistique, lui fera gagner dès ses premiers opéras le titre de père de la musique tchèque.
À l’origine, La Fiancée vendue comprenait des dialogues parlés, mais c’est la version actuelle, avec récitatifs, qui apportera à Smetana sa réputation internationale. Cet opéra bouffe où folklore populaire et truculence alternent avec la peinture de sentiments délicats et les rythmes de danses trépidantes, repose sur une intrigue conventionnelle, mais cocasse. Amour contrarié, appât du gain, identité cachée, ruses entrecroisées, en sont les ressorts maintes fois éprouvés.
La pulsation échevelée de l’ouverture, son rythme répétitif peu mélodique nous plonge d’emblée dans un univers inconnu, mais rendu ici rassurant par le dispositif scénique aux couleurs vives et harmonieuses voulu par Gilbert Deflo et William Orlandi. Évoquant les années 1920, le décor de fête foraine traité dans le style illustratif léché et simplifié des livres pour enfants est subtilement éclairé tout au long de la représentation jusqu’à un effet de nuit fort réussi. Les costumes caractérisés de tous les personnages, le choix des accessoires, comme les voitures et les ballons gonflés au gaz, de même que l’ours et son montreur, font penser à des jouets en grandeur nature.
Musicalement, on est aussi à la fête. Furiants (une danse populaire tchèque), polkas, chœurs festifs, ravissants duos, quatuors et même sextuors vocaux se succèdent pour un plaisir auditif renouvelé. Surtout au troisième acte où le rythme étourdissant de l’action ne subit plus aucun ralentissement susceptible de laisser place à l’ennui. Éxécutée par des danseurs aux allures de Julots et des danseuses de tous gabarits, la chorégraphie acrobatique anime avec bonheur les changements de tableaux.
Mené tambour battant par le jeune chef allemand Constantin Trinks, l’orchestre tonitruant comme le veut la partition manque quelque peu de lyrisme et semble parfois oublier de veiller à ne pas couvrir les voix qui heureusement ont l’occasion de se rattraper dans les passages a capella.
En Mařenka, la soprano Inva Mula ne semble pas trouver ici un rôle porteur. Si les moyens restent petits, son air « Ah quel chagrin » et son dernier duo avec son amoureux ne manquent pas de charme. Avec son beau phrasé et son timbre solaire, le ténor mozartien Piotr Beczala séduit et touche, particulièrement dans l’air du deuxième acte « Quand tu verras ».
À l’applaudimètre, c’est indiscutablement l’allemand Andreas Conrad qui remporte la palme. Il compose avec finesse et talent son personnage un peu demeuré de bègue naïf et sentimental. Son chant articulé et bien projeté fait valoir une voix bien assise et un timbre agréable.
Surtout durant la première partie, Jean-Philippe Lafont dont on connaît les talents d’acteur, peine beaucoup vocalement dans un rôle dramatiquement essentiel et il en résulte un certain manque de verve qui fait languir l’action. Tous les autres interprètes sont très satisfaisants. Le baryton basse Oleg Bry Jak dans Krušina et le ténor Heinz Zednik dans le Maître de manège sortent du lot.
Un spectacle joyeux et optimiste à recommander pour égayer cette fin d’année.