A l’heure du goûter, une foule dense emplit la nef de l’Eglise Saint-Aubin, avec des mines réjouies et gourmandes, prête à savourer ce concert vespéral consacré à Handel. Au menu, musique instrumentale et musique sacrée, des pièces courtes sans rien de lourd ni d’indigeste. Deux traiteurs spécialisés et souvent partenaires se sont associés pour le confectionner.
L’orchestre baroque Les Passions constitue la base, puisqu’il est à l’œuvre dans tout le programme. Sis à Montauban, cet ensemble (qui approche du quart de siècle) propose pour la septième année une saison spécifique aux mélomanes toulousains. Son fondateur Jean-Marc Andrieu est toujours aux commandes, et nombre de musiciens sont des anciens, même si l’effectif est à géométrie variable. Cette longue pratique partagée produit d’excellents résultats : la virtuosité des uns s’allie à la discipline et à la cohésion des autres. Dans le concerto Alexander’s feast, on est sensible à l’équilibre sonore, au jeu brillant du hautbois et du premier violon, à la présence de la basse continue, à la précision et à la mesure d’une direction qui refuse visiblement de théâtraliser les contrastes, au risque d’imprimer au rythme une régularité qui tend à brider son dynamisme. Le deuxième concerto grosso, en revanche, est animé dès son ouverture d’un allant qui ne se dément pas ; là encore, le hautbois brille, comme le basson, le continuo au positif remplit efficacement son office et tout concourt à recréer une élégante verve dansante.
Chaque concerto précède une hymne des onze composées de 1717 à 1718 par Handel pour son mécène, le richissime duc de Chandos, à partir de textes pris dans le Livre des prières de l’Eglise anglicane. Les deux choisies réclament un chœur à quatre voix, et ce n’est pas le moindre intérêt de ce concert que la présence de l’atelier vocal de l’ensemble Les Eléments. Alors que ce dernier, fondé en 1997 par Joël Suhubiette, qui le dirige toujours, est composé de professionnels, l’atelier vocal, sous le nom d’Archipels, regroupe étudiants en chant, en musicologie, enseignants et amateurs confirmés. Est-il utile de dire qu’ils ont en commun la passion du chant choral ? Le résultat est en tout cas d’une remarquable qualité. Qu’il s’agisse de l’anthem n°7 (My song shall be alway) ou de la n°11 (Let God arise) leur interprétation n’a rien à envier à celle de chœurs professionnels. Sans doute la direction de Joël Suhubiette, qui dirige orchestre et chœur pour ces deux pièces, y est-elle pour beaucoup ; il imprime à l’ouverture du n°7 un dynamisme qui ne faiblira pas un instant jusqu’au chœur final (peut-être faut-il y voir le regain qui vivifie le concerto suivant) et fait de la conclusion de l’anthem n°10 une véritable apothéose. Ainsi ces œuvres singulières, portées au grandiose par l’écriture de Handel et relativement intimes par les effectifs, où religiosité et théâtralité sont en véritable symbiose, résonnent avec une justesse qui comble.
Quatre solistes sont prévus pour la n°7 ; la haute-contre Frédéric Bétous et la basse Antonio Guirao font partie de l’atelier vocal Archipels, alors que le ténor Marc Manodritta appartient à l’ensemble les Eléments. Ils s’acquittent de leur partie sans problème, même si l’émission du ténor laisse penser qu’il souffre d’un rhume. On le retrouve dans l’anthem n°11 où il fait un sort heureux au bel air « Like as the smoke vanisheth ». La dernière nommée est aussi la plus connue, Isabelle Poulenard, étoilemarquante de la galaxie baroque depuis déjà longtemps. Aussi est-on presque surpris d’entendre une voix si fraîche, au service d’une interprétation toute diaprée de nuances subtiles qui illuminent le texte. Les gourmets présents l’ont saluée particulièrement, mais c’est à tous les artisans de ce délectable concert qu’ils ont exprimé leur gratitude par de longs applaudissements, récompensés par la reprise en bis du chœur final de l’anthem n°7. Que c’est beau et que c’est bon, la passion partagée pour la musique !
Maurice Salles