Créée en 1998 et reprise en 2000, cette production de L’Italiana in Algeri avait été choisie par Gérard Mortier pour l’ouverture de sa première saison à la tête de l’Opéra de Paris, le 11 septembre 2004.
Six ans plus tard, jour pour jour, la voici de retour sur la scène du Palais Garnier. Pour l’occasion, Andrei Serban est revenu diriger la nouvelle équipe au sein de laquelle se retrouvent deux des interprètes de l’édition précédente.
L’action, située dans un orient de fantaisie, à mi-chemin entre le conte et la bande dessinée, est rythmée par une avalanche de gags qui font mouche (même si, l’allusion au naufrage du Titanic, treize ans après la sortie du film de Cameron n’amuse plus personne). Dans des décors aux couleurs vives – les fonds de scènes oscillent entre le jaune canari et le rose bonbon – Serban se plait à souligner le désir exacerbé qu’inspire Isabella à Mustafa, comme en témoigne par exemple ce canapé en forme de lèvres pulpeuses d’un rouge écarlate, mais il flirte parfois avec la vulgarité : au début du trois, le rideau se lève sur une rangée d’eunuques, penchés en avant qui offrent au regard des spectateurs médusés, leurs énormes fessiers en caoutchouc.
Vivica Genaux retrouve le personnage d’Isabella qu’elle avait chanté in loco en 2004. Annoncée souffrante, la cantatrice n’en a pas moins tenu sa partie avec un bel aplomb. Seules quelques rares scories dans l’émission, notamment au cours du second acte, trahissaient sa maladie. Avec les années, la voix a gagné en homogénéité sur l’ensemble de la tessiture et les vocalises sont exécutées avec une grande précision. Le volume, cependant, demeure confidentiel et la projection limitée, aussi la grande scène du deux « Pensa alla patria », privée de relief, n’a pas convaincu mais cela est peut-être à mettre sur le compte de son état de santé.
Le Mustafa de Marco Vinco constitue, lui, une véritable déception. Certes, l’acteur est subtil et sa prestation scénique n’appelle aucun reproche mais la technique du chanteur est encore inaboutie : si la voix est solide, les vocalises sont exécutées avec précaution quand elles ne sont pas carrément savonnées. Nul doute que la basse italienne a encore besoin de mûrir son rôle afin d’en offrir une exécution pleinement satisfaisante.
Saluons en revanche la belle performance d’Alessandro Corbelli qui avait déjà incarné avec bonheur Taddeo en 1998 et 2004. Les ans semblent n’avoir pas de prise sur les cordes vocales du chanteur qui campe avec la même subtilité et la même truculence que par le passé, ce personnage pleutre et velléitaire.
Les seconds rôles sont également irréprochables : Jaël Azzaretti tire son épingle du jeu en proposant une Elvira désopillante qui lui permet de faire valoir un bel aigu.
Riccardo Novaro est un Haly pleinement convaincant qui remporte un franc succès après son air « Le femmine d’Italia », au deuxième acte et Cornelia Oncioiu, dotée d’une voix sombre et homogène, constitue presque un luxe dans le rôle épisodique de Zulma.
Cependant, le grand triomphateur de la soirée est Lawrence Brownlee qui fait des débuts fracassants à l’Opéra de Paris dans un rôle qui lui sied comme un gant. La voix n’est certes pas immense mais quel talent ! On ne sait qu’admirer le plus, l’élégance de sa ligne de chant, la précision de ses vocalises, exécutées avec une vélocité redoutable ou ce timbre richement coloré, capable d’infinies nuances. De plus, l’acteur est éminemment sympathique. Au salut final, le public l’a accueilli avec un enthousiasme amplement mérité.
Au pupitre, Maurizio Benini, familier de ce répertoire, se montre attentif à ne pas mettre en danger les chanteurs. Il adopte des tempi généralement retenus et se déchaîne dans les ensembles, notamment les deux finals, tout à fait éblouissants.
Bilan mitigé pour une soirée qui échappe à la routine, essentiellement grâce à la performance de Lawrence Brownlee.
Christian Peter