A Santa Fe, les représentations d’opéra débutent à l’heure où le soleil projette une lueur dorée et rouge sur les montagnes environnantes. Pour Madama Butterfly, l’arrière de la scène a été laissé ouvert de telle manière que le ciel nocturne devient un élément du décor.
La mise en scène de Lee Blakeley,relativement traditionnelle, raconte l’histoire de manière compréhensible même si on se demande pour quelle(s) raison(s), à la fin de l’opéra, le fils de Butterfly brandit le couteau sanglant avec lequel sa mère vient de se suicider. La scénographie de Jean-Marc Puissant comprend une maison pivotante avec des panneaux coulissants qui sont ouverts ou fermés selon les scènes. L’un des coins du bâtiment est souligné par un cerisier en fleurs, visible aux moments opportuns. Quand Cio-Cio-San annonce qu’elle s’est convertie au christianisme, la maison se meuble de chaises sur lesquelles elle et Sharpless s’assoient de temps à autre tandis que Suzuki reste constamment agenouillée sur le sol. Un excellent moyen de nous rappeler les enjeux culturels d’un ouvrage qui confronte orient et occident. Dans le même esprit, après son mariage, Butterfly adopte une tenue qu’une femme américaine pourrait porter aujourd’hui alors que Suzuki reste en kimono traditionnel. Les costumes de Brigitte Reiffenstuel sont d’ailleurs un mélange de vêtements folkloriques et occidentaux. Les tenues des hommes, un peu moins colorées – à l’exception de l’uniformes des marins – sont probablement celles que portaient les occidentaux au Japon au début du XXe siècle. Même Goro et Yamadori sont vêtus d’un complet, ce qui rend intéressant le moment où ce dernier apparaît sur scène dans une chaise à porteur typiquement japonaise.
Le chef d’orchestre, Antony Walker, offre une lecture lumineuse de la partition avec des tempi rapides qui ne laissent jamais la tension fléchir. Sa direction attentive aux détails et à l’équilibre des volumes sait impulser l’élan nécessaire aux grandes phrases de l’œuvre sans en surligner à l’excès les aspects les plus dramatiques. Il s’agit là d’une interprétation vraiment élaborée d’un opéra pourtant familier.
La Butterfly de Kelly Kaduce a une voix large, radieuse avec des aigus resplendissants. Compte tenu de sa petite stature, sa technique lui assure une projection surprenante ; elle se déplace avec grâce. Un choix parfait pour le rôle. Elle est particulièrement crédible à l’acte I face au Pinkerton paradeur et effronté de Brandon Jovanovich. Ensemble, leurs voix se colorent de teintes miellées qui rendent particulièrement ardents les climax du duo final. L’alchimie entre les deux artistes est parfaite. Le chant de Jovanovich se développe et devient de plus en plus dramatique au fur et à mesure que l’action progresse. James Westman est un Sharpless aux sonorités sèches, sauvé par des talents de comédiens qui l’aident à traduire à la fois la compassion et l’impuissance du personnage. Le registre grave d’Elizabeth DeShong (Suzuki) est impressionnant mais elle a du mal à adopter l’attitude humble d’une servante japonaise. Bonze puissant d’ Harold Wilson, seconds roles impeccables (Brandy Lynn Hawkins, Kiri Deonarine, Danielle Pastin, Alan Dunbar; Keith Jameson, Makai Pope). Même si l’on s’attendait à passer une bonne soirée, la surprise est au rendez-vous. Une Madama Butterfly comme on n’en avait pas vu – et entendu – depuis longtemps.