Antonio VIVALDI (1678-1741)
Laudate pueri Psaume 112, RV 601
Nisi Dominus RV 608
Giovanni Battista PERGOLESI (1710-1736)
Stabat Mater
Pascale Beaudin, soprano
Marie-Ange Todorovitch, mezzo-soprano
Orchestre Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur
Direction musicale, Philippe Bender
Marseille le 28 mai 2010
Mission publique
Pour le dernier concert du XVe festival de Musique sacrée de Marseille, un programme fort différent du monumental Elias donné le 6 mai, avec cette fois trois pièces de courte durée. Les deux premières sont des psaumes mis en musique par Vivaldi pour les pensionnaires de l’Ospedale della Pietà selon une structure identique. La dernière est la composition de Pergolesi sur un poème médiéval qui évoque de façon empathique les souffrances de la mère du Christ au pied de la Croix, composition dont le succès foudroyant éclipsa celle de Domenico Scarlatti sur le même texte.
Destinées à des célébrations liturgiques, elles avaient une fonction édificatrice des croyants. Mais dès leur création, la séduction de la composition musicale et de l’écriture vocale contribua à l’adhésion des fidèles. Cette beauté sonore était jadis conçue comme une célébration de la divinité ; aujourd’hui elle garde intacte son efficience à donner du plaisir.
Evidemment celui-ci dépend de la qualité des exécutants. Pour ce qui est de l’orchestre, dont de nombreux membres sont jeunes, on ne peut parler d’insuffisances techniques ; au contraire, certains solistes (viole d’amour, flûte, violoncelle) sont mieux que remarquables et la basse continue sans faille. Le problème tient plutôt à une sonorité qui, aux premières mesures, nous fait effectuer un retour dans le passé, et semble gommer les décennies de réappropriation de la musique baroque. Particulièrement sensibles dans Vivaldi, ces impressions s’estomperont dans Pergolesi, sans que celle d’une mise en place précaire et de routine disparaisse. A se demander si cette musique inspire vraiment Philippe Bender.
Cette question, on se la pose déjà dans le Laudate pueri dont Pascale Beaudin est la soliste. La soprano québécoise a l’étendue et les moyens techniques nécessaires à mener à bien l’exécution des difficultés ; mais – outre des aigus légèrement métalliques dans les forte et des efforts perceptibles – elle ne varie pas suffisamment les intentions expressives au fil des strophes, comme le fait par exemple Patrizia Ciofi dans l’enregistrement dirigé par Fabio Biondi.
Avec le Nisi Dominus, si l’on s’interroge, c’est sur la voix de Marie-Ange Todorovitch tant elle semble avoir gagné dans le grave jusqu’à un timbre d’alto sans rien perdre de son homogénéité et de son extension vers l’aigu. En interprète chevronnée elle fait un sort à toutes les nuances d’un texte dont les accents quiétistes, doctrine condamnée par le pape en 1687, ont un parfum de soufre.
Réunies dans le Stabat Mater, les deux chanteuses surmontent victorieusement les dangers d’une préparation très rapide et les volutes de leurs voix, en solo ou en duo, soutenues par le continuo ostinato recréent la fascination quasi hypnotique de ce dolorisme voluptueux. L’expressivité est parfois un peu extérieure, dans la véhémence, mais on touche peut-être ici aux limites de ce genre de concert, lorsque des compositions destinées au recueillement liturgique sont exécutées en public par des interprètes d’opéra.
Quoi qu’il en soit, l’émotion est palpable et l’assistance fait un triomphe à ce concert. De quoi justifier l’existence d’un festival où le prix des places – à peine plus élevé qu’une entrée au cinéma – attire un large public et grâce auquel bon nombre de chefs d’œuvre du genre, aujourd’hui disparus des cérémonies religieuses, échappent à l’oubli, c’est-à-dire à la mort.
Maurice Salles