Pas de grandes surprises à attendre pour cette reprise d’un spectacle créé par Graham Vick il y a plus de dix ans ! D’autant que Gérard Mortier l’avait déjà remis au menu de l’Opéra de Paris en 2008.
Et en effet, on retrouve intactes les qualités que l’on avait pu noter il y a deux ans, en particulier de belles images : par exemple, le premier tableau, au couvent de Yuste, dont la pénombre est à peine entamée par les bougies formant une croix au centre de la scène, ou encore l’arrivée de Don Carlo en ombre chinoise lors de la scène de jardin. Les décors épurés et les éclairages parcimonieux renforcent l’atmosphère oppressante, marquée par l’omniprésence de la croix, symbole de la toute puissance écrasante de l’Eglise.
On en redécouvre malheureusement également les limites, en particulier une direction d’acteurs extrêmement statique… voire inexistante et des scènes étonnamment ratées : l’autodafé, malgré la splendeur des costumes et la magnificence de la chapelle en arrière plan tombe bien à plat… et que dire de cette scène de prison où l’infant, libéré par le peuple mené par la Princesse Eboli, reste planté au milieu de la scène au lieu de s’enfuir !
Seul survivant de la distribution de 2008 (avec le Conte di Lerma de Jason bridges), Stefano Secco retrouve le rôle de l’Infant d’Espagne. Le ténor, comme il y a deux ans, est un Don Carlo atypique, à la voix claire et à l’émission haute. Si l’élégance est bien au rendez-vous, la voix apparaît par moments un peu fluette, lorsque les accents se font plus héroïques, obligeant le ténor à forcer pour compenser un manque de largeur et de mordant. L’impression d’un costume parfois surdimensionné ressort d’autant plus que le chanteur est confronté cette année à des voix féminines d’un tout autre calibre.
L’Eboli de Luciana D’Intino impressionne par sa couleur sombre et sa puissance. La chanteuse ne s’économise à aucun moment, les graves sont appuyés et sonores, les aigus lancés avec aplomb. On fait plus élégant … mais difficilement plus efficace. D’autant que sa technique assurée lui permet de briller aussi bien dans les aigus à découverts et les coloratures de la chanson sarrasine (avec des efforts louables d’allègement) que dans les élans du « Don fatale ». Sa rivale, Elisabetta – Sondra Radvanovski – ne s’en laisse pas pour autant compter. On retrouve avec grand plaisir la soprano américaine qui avait offert de belles soirées verdiennes sous l’ère Hugues Gall, en Léonore du Trouvère et Hélène des Vêpres Siciliennes. Sept ans ont passé et la voix a perdu une part de son brillant, mais garde toujours sa superbe homogénéité et son aisance sur toute la tessiture. La voix large et exempte de duretés ressort particulièrement dans les ensembles, où Tamar Iveri disparaissait en 2008. C’est pourtant lorsque la voix se fait murmure, notamment dans le sublime duo final, que son velours finit de nous combler. Si l’on devait trouver à redire ce serait davantage sur le portrait un brin plébéien qu’elle dresse de la reine…ses cris véristes lors de sa confrontation avec son royal époux semblent ici bien déplacés !
Le roi de Giacomo Prestia justement laisse une impression ambivalente. La voix, une fois débarrassée d’un vibrato envahissant au début, n’est pas en cause, captant l’oreille par un timbre profond mais jamais charbonneux. Le chant est également nuancé. C’est plutôt le personnage qui laisse partagé : si la faiblesse du souverain vieillissant est parfaitement rendue dans le « ella giammai m’amo », il manque au souverain torturé les accès de violence et les arrêtes pour vraiment exister. Son homologue dans le royaume des cieux, le grand inquisiteur, trouve en Victor Von Halem un interprète glaçant, de par un grimage impressionnant (en vieillard chauve et grimaçant) conjugué à une émission étrange et des éclats (pas toujours maîtrisés) dans l’aigu.
Pourtant les plus belles ovations du public auront été réservées à raison au Posa de Ludovic Tézier : plus encore que par son timbre de baryton cuivré, il enthousiasme surtout, comme dans son Renato du Bal Masqué de l’an passé, par sa ligne de chant toujours élégante, son mordant et ses intentions interprétatives. Sa mort auprès de Don Carlo est tout simplement bouleversante.
La comparaison de la distribution avec la reprise de 2008 penche donc définitivement en faveur de la présente série… Seul regret, la direction équilibrée de Carlo Rizzi, qui fait ressortir les belles sonorités de l’Orchestre de Paris et soutient parfaitement les chanteurs… mais sans cependant parvenir à retrouver le souffle qu’y imprimait l’iconoclaste Currentzis.
Pourtant, malgré la belle réussite d’ensemble, on ne peut s’empêcher d’espérer que la prochaine fois que l’on entendra Don Carlos à l’Opéra de Paris ce sera en français dans la version intégrale en cinq actes … Avec le Posa de Ludovic Tézier !