Vingt-trois ans après Atys, dans ce même Opéra Comique, c’est le miracle renouvelé. Pour fêter les 30 ans des Arts Florissants on ne pouvait rêver spectacle plus réussi. Quatre heures de pur bonheur et on en redemanderait ! Le spectacle a été créé l’été dernier à Glyndebourne et c’est la même troupe hyper rodée qui a fait le voyage de Paris. William Christie dirige Purcell avec un enthousiasme à toute épreuve et l’énergie d’un gamin de vingt ans, facétieux, grave, agile, passionné, en totale harmonie avec l’imagination débordante du metteur en scène Jonathan Kent. Il fallait du talent et de l’audace pour se lancer dans l’aventure.
Monter enfin The Fairy Queen telle que Dorset l’avait imaginée à Londres, dans son théâtre, tient de la gageure et personne ne s’y était encore attelé avec bonheur. Comment insérer ces préludes, interludes et divertissements musicaux dans ce texte savoureux, inspiré de Shakespeare, sans que cela ne paraisse artificiel et que l’action théâtrale n’en soit entravée ? Dans son avant-propos, à 19h30, Agnès Terrier raconte avec une passion communicative que le public londonien aimait avant tout le théâtre parlé et ces mots que les grands acteurs anglais savaient (et savent encore aujourd’hui) déclamer comme personne. Ce genre de spectacle théâtral avec musique était appelé « opera». En France il est coutume de l’appeler semi opéra. Le travail de Kent nous fait simplement comprendre que les Anglais avaient inventé, dès le XVIIe siècle, ce genre si difficile à réussir qu’est la comédie musicale. On comprend mieux, dès lors, qu’ils en soient toujours les maîtres. Purcell avait tout pour réussir ce type de spectacle. Musicien savant, nourri à toutes les musiques d’Europe, il avait cette imagination débordante qui donne à sa musique une invention sans cesse renouvelée avec ce mélange de danses, de chansons populaires, de musique triviale ou drôle à dessein et de moments musicaux sublimes qui requièrent des interprètes chevronnés, comme la grande scène du sommeil ou la sublime plainte que chante admirablement la soprano Emmanuelle de Negri à la fin de l’ouvrage.
Ce qui est extraordinaire c’est qu’on passe ici insensiblement du chant au parlé et vice-versa. Tous les acteurs ont adapté leur propre déclamation au style propre à ces ouvrages et, à leur manière, ils chantent aussi ! Chaque voix est d’ailleurs très typée. Tous les acteurs seraient à citer. Titania a une voix chaude, riche et timbrée et elle déclame son texte avec le lyrisme et l’autorité d’une cantatrice. Sally Dexter y est simplement admirable. Il y a aussi la troupe des artisans qui sont carrément désopilants. Bottom (Desmond Barrit) la mène avec brio et une belle palette de sentiments.
Les chanteurs chantent tous très bien avec une musicalité sans faille. Ils sont eux aussi de magnifiques acteurs. La troupe est trop nombreuse pour les citer tous. Mentionnons les sopranos Lucy Growe, Claire Debono et toutes les fées. Elles ont cette technique anglaise souple et sûre, ancrée elle aussi dans une belle tradition. Ed Lyon est un excellent ténor « à l’anglaise » doublé d’un acteur étonnant. Les chœurs sont d’une précision et d’une homogénéité rares.
De plus c’est un spectacle baroque avec tout ce qu’il faut de « machines ». C’est éblouissant et la technique de l’Opéra Comique est à la hauteur de l’exploit. Les décors et costumes de Paul Brown sont comme la musique de Purcell, pleins d’invention et d’une grande beauté. Les déplacements des artistes semblent avoir été chorégraphiés avec beaucoup de finesse car les ballets (Kim Brandstrup) s’enchaînent et s’intègrent au spectacle. On ne tarit donc pas d’éloges.
Belle idée de faire débuter le spectacle dans le cabinet de curiosité d’une riche demeure anglaise, là où la science se mêle à la magie.
Les vitrines fantasques s’écarteront naturellement pour s’ouvrir sur la forêt où les songes lunaires permettront aux personnages de se révéler à eux-mêmes. Paris nous offre-là un spectacle rare et précieux, qui trouve en l’Opéra Comique un superbe écrin.