Le Théâtre des Champs Elysées a une fois de plus mérité la palme du théâtre haendélien en cette année anniversaire avec la représentation d’Ezio, un opéra en 3 actes qui fit un four lors de sa création en 1732. On a souvent considéré Metastasio, le librettiste, comme responsable de cet échec. A tort. Le concert de ce soir prouve que, même privée de mise en scène, la dramaturgie de l’œuvre tient la route. L’histoire se résume à un affrontement politique et amoureux entre l’empereur Romain Valentiano et Ezio, le général vainqueur d’’Attila. L’intrigue se déploie de manière assez cornélienne avec l’opposition devoir-désir chez presque tous les personnages. Cela permet à Haendel, qui avait choisi ses interprètes avec grand soin, de tisser une partition aux milles reflets. Les airs sont magnifiques et souvent d’une virtuosité époustouflante.
Attilio Cremonesi dirige le Kammerorchester Basel avec souplesse, élégance et un engagement dramatique qui ne cessera de se développer tout du long de la partition. Il construit chaque air avec efficacité, offrant aux solistes un bel alliage de rigueur et de liberté tout en aménageant la progression dramatique voulue par Haendel (chaque chanteur se trouve gratifié au dernier acte de son air le plus admirable). L’orchestre sonne très baroque avec de belles nuances, coloré à l’envi avec des cors un peu cavaleurs et des trompettes rustiques. Le continuo est riche, d’une grande variété, avec théorbe, harpe, violoncelle et clavecins.
Toute la distribution fait honneur aux exigences les plus complexes de lapartition. La palme revient à Veronica Cangemi qui sait tirer de son soprano une palette de nuances et de couleurs admirables. Le volume est modeste mais si habilement utilisé que l’instrument semble sans limite. Les nuances pianos vont jusqu’au murmure sur le souffle et le phrasé peut avoir aussi bien la délicatesse d’une broderie sur une gaze que le brillant et la résistance d’un tapis de soie orientale. C’est l’artiste qui semble la plus à l’aise dans chacun de ses airs, montrant après avoir si admirablement interprété Vivaldi qu’elle est aussi une véritable chanteuse haendélienne.
L’objet de son amour est Ezio chanté par l’incontournable Laurence Zazzo. Sa voix de contre-ténor est toujours aussi stable, colorée, homogène ; son phrasé varié et ses nuances intéressantes. La technique est enviable mais non exempte d’expédients : vocalises roboratives, trilles escamotés et effets faciles en quête d’applaudissements. Reste pour ce personnage de guerrier amoureux loyal une certaine monotonie dans la caractérisation.
Dans le rôle du potentat Valentiniano, Sonia Prina fait grande impression avec sa voix de contralto corsée et son tempérament généreux. Les vocalises féroces écrites par Haendel ne la mettent jamais en difficulté même si elle n’a pas toute la méchanceté requise. C’est plutôt l’émotion à fleur de lèvre qui valorise son timbre sombre.
Un grand moment d’émotion est dévolu au rôle trop réduit d’Onoria admirablement campée par Kristina Hammarstroem, chanteuse au mezzo-soprano homogène et souple. Dans son air du deuxième acte, elle se révèle sensible et noble à la fois, avec un beau tempérament mélancolique. L’abominable Massimo, père impitoyable assoiffé de pouvoir et de vengeance bénéficie de la voix robuste de Vittorio Prato. Timbre de baryton assez clair, il vocalise avec une facilité assez inhabituelle. Même les trilles lui semblent aisés. Enfin Varo, l’homme de main qui fera de l’amitié une valeur plus grande que l’obéissance, est admirablement interprété par Antonio Abete, Caron impressionnant dans l’Orfeo de Garrido, qui arrive à imprimer une véritable présence à un rôle pourtant sacrifié.
En conclusion, une belle résurrection en version de concert d’un opéra de Haendel injustement oublié et qui vaut bien mieux que ce qu’en laisse penser l’intégrale d’Alan Curtis. Le public du TCE, séduit, n’a pas été avare d’applaudissements et de bravos mérités.