L’amour de l’Art et le profond désir d’aider les jeunes artistes méritants a conduit une nouvelle fois l’association Nancy Opéra Passion à organiser des « master classes » autour de la grande personnalité lyrique qu’est José Cura.
Précisément, en titrant l’art de transmettre l’Art, nous avons tenté de refléter l’enthousiasme des jeunes chanteurs ayant eu la chance de travailler avec le Maestro Cura et c’est leur avis unanime, non pas dicté par la déférence ou la reconnaissance, mais par leur satisfaction artistique et leur émotion humaine. Nous reviendrons plus loin sur la particularité de la conception du Maestro Cura, gentiment et simplement confiée par une somptueuse voix de basse… mais nous pouvons déjà dire qu’ils ont trouvé chez le grand ténor argentin une étonnante capacité d’analyse : musicale pour les morceaux, et littéraire en ce qui concerne les sentiments du personnage au moment où il chante son air. La sensibilité de profondeur humaine du Maestro Cura est connue de ceux qui ont pu l’approcher, mais en travaillant avec lui, on découvre une autre sensibilité, celle de l’Artiste abordant un rôle, et le faisant sous la double technicité, pour ainsi dire, du chanteur et de l’accompagnateur, car rappelons-le : le Maestro Cura fut chef d’orchestre avant d’être chanteur d’opéra ! Sa direction « respire » donc avec le chanteur, non pas asservie à lui, mais tenant compte de la « machine à souffle » qu’il est, et respectant la mélodie. Des qualités utiles à rappeler aujourd’hui où l’on peut « entendre » des chefs dirigeant de leur rigide conception, en eux-mêmes pour eux-mêmes, alors que les chanteurs peinent à suivre et donc « bâclent » les notes, effleurées à cause de la respiration forcément rapide !
On comprend la chance ainsi offerte aux jeunes chanteurs pouvant bénéficier d’un tel partage artistique, grâce à celui par qui tout est possible, pouvons-nous dire, le médecin-mécène Jacques Delfosse, président de l’association Nancy Opéra Passion organisant… tout ! Le « prêt » de la salle rococo de l’Opéra de Nancy, siège de l’Opéra national de Lorraine, l’« utilisation » de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, et jusqu’à l’organisation du vivre et du couvert des jeunes chanteurs !
Un dernier élément vient compléter le tableau déjà positif, c’est la participation d’un public nombreux se pressant sur les mille-cent places de la belle salle style Louis XV, et sa joie de retrouver une atmosphère hautement professionnelle mais sympathique. A tel point qu’à l’issue du concert, nombre de spectateurs et même de « gens du métier », firent chorus auprès de Monsieur Laurent Hénart, Président de l’Opéra national de Lorraine et député de Meurthe-et-Moselle, le priant de faire en sorte que les retrouvailles avec José Cura et les jeunes artistes lyriques deviennent un rendez-vous attendu dans la vie culturelle nancéienne !
Il se trouve que Nancy Opéra Passion réserve une autre surprise à la Capitale des Ducs de Lorraine, mais n’enticipons pas, ou plutôt patientons jusqu’à la fin de la soirée… et de l’article.
L’Artiste José Cura commence, avec la désinvolture qu’on lui connaît, par expliquer qu’il va réduire son programme personnel, du fait d’un refroidissement compréhensible qu’il explique avec une ironie souriante : il s’envole de Barcelone sous quarante degré, puis atterrit à Luxembourg par seulement huit degrés ! Il tentera tout de même le grand air de I Pagliacci, « Vesti la giubba ». Le chef d’orchestre italien Mario De Rose, habituel collaborateur de José Cura, dirige avec flamme et sensibilité l’intermezzo de I Pagliacci. L’atmosphère hautement posée, le grand ténor se prépare, se concentre… mais on le sent tendu : il anticipe la musique de l’orchestre, comme s’il voulait en finir avec cette souffrance double : celle, profonde et dévorante, du personnage, et qu’il faut habiter pour donner vie à l’air, et la sienne propre. Le public retrouva ainsi le charme de sa puissante voix si chaleureuse, et que l’on aimerait entendre encore, le long de tout un opéra…
(Le concert devait alterner joliment les types de voix et si nous les regroupons ici par catégorie vocale, c’est dans un esprit de synthèse à l’égard des lecteurs.)
Les candidatures vinrent en nombre… et du monde entier ! Leur grande qualité posa plus d’un cas de conscience lors de leur sélection mais il fallait faire un choix… Sept sopranos furent ainsi retenus par le jury de Nancy Opéra Passion et par le Maestro Cura.
Soprani (sopranos)
Eva Ganizate (France) interprétait la Scène de Magda « Denaro… denaro… / nient’altro che denaro ! », tirée de La Rondine de Giacomo Puccini, morceau vraiment insolite pour un concert, difficile car changeant souvent de mélodie et comprenant beaucoup de moments de chant piano et en nuances… Caractéristiques bien observées par Eva Ganizate, possédant un timbre brillant, piquant dans l’aigu, un medium fort mélodieux épousant cette curieuse musique, et des aigus et suraigus brillants et à la belle vibration.
Marie Adeline Henry (France) devait mettre au service de la discrète Micaëla de Carmen, son timbre fulgurant et enflammé mais se pliant fort bien à l’air « Je dis que rien ne m’épouvante », avec notamment un beau chant piano.
Rissala Ali (Russie) entonna de son beau timbre ample aux résonnances cuivrées, l’air « Io son l’umile ancella », de Adriana Lecouvreur. De petits problèmes de justesse furent compensés par un aigu corsé, plein et sûr, nécessaire à cet air d’entrée de l’héroïne, ayant beau dire joliment « un soffio è la mia voce » (ma voix est un souffle), mais s’intensifiant dangereusement jusqu’à sa conclusion.
Chenxing Yuan (Chine) possède un impressionnant timbre clair mais corsé, doté de suraigus « pleins » emplissant la salle de l’Opéra ! La Romance de Magda « Chi il bel sogno di Doretta » de La Rondine, devait permettre d’apprécier non seulement une ampleur et une puissance remarquables, mais également un beau chant piano.
Emilie Bregeon (France) fait souffrir la langue italienne de la Valse de Musetta « Quando men vo » (La Bohème), mais possède un beau timbre genre « coloratura », corsé et assez rond, à l’aigu puissant et sonore –d étail important pour ce type de soprano. On apprécie également son beau chant piano ainsi qu’une belle capacité de diminution du souffle, tandis que le ténor-maestro faisait chanter l’orchestre !
Woo Yeon Lee (Corée), dans l’air « Sì, mi chiamano Mimì » de La Bohème, nous régala de son timbre somptueux aux riches couleurs chatoyantes, et unissant puissance et délicatesse.
Julie Cherrier (France), de son beau timbre souple et lumineux, chanta la Romance de Liù « Signore, ascolta ! » de Turandot, faisant apprécier des aigus piano superbes, sonores et timbrés.
Mezzosoprani (mezzo-sopranos)
Rany Boechat (Brésil) aborda joliment la Cavatine de Rosina « Una voce poco fa » (Il Barbiere di Siviglia), d’un timbre velouté et chaleureux, uni et doté d’un aigu « épais » et plein, ajoutant à cela une belle qualité d’interprétation pour un personnage de fine mouche opiniâtre, chantant tout de même « sarò una vipera », (je serai une vipère) pour celui qui s’opposera à ses desseins. On admire et on goûte la pondération du Maestro, dans une direction juste ce qu’il faut de pétillant, regardant avec curiosité et étonnement l’interprète faire ses vocalises. C’était en fait un spectacle supplémentaire – ô combien sympathique et appréciable – il fallait en effet voir le Maestro Cura s’interroger sur les espiègleries de l’interprète, et répondre par les siennes, comme s’étonner d’une vocalise de primadonna, ou faire à son intention le geste typiquement italien de joindre vers le haut les extrémités des doigts d’une main, signifiant à la fois « Qu’est-ce que tu veux, toi ? » et « Qu’est-ce qu’il lui prend ? », ou encore faire mine de laisser l’orchestre jouer les facéties et répétitions du bon Rossini, en cette page si connue, d’un air interrogatif semblant sous-entendre à la fois que l’orchestre peut bien se débrouiller tout seul, et se demander à propos de la cantatrice : « Que va-t-elle nous faire à présent ! ».
Couronnant cette réussite complète, artistique et humaine, n’était-il pas touchant de savoir que l’interprète était venue avec son petit enfant et qu’elle conjugait courageusement ses moments d’études et ceux indispensables où le petit réclamait ses soins… avec des modulations probablement moins harmonieuses !…
Marie Kalinine (France) présentait un air qu’il faut jouer également : la Séguedille de Carmen « Sur les remparts de Séville ». Un mezzo velouté, une belle pâte de voix et un aigu rayonnant devaient faire vivre avec une belle efficacité ce passage célèbre, d’autant que les interventions de Don José n’étaient pas oubliées, émises par un autre Don José, pourtant occupé à tenir la baguette !
Daniela Banasova (République tchèque) fut la première à se présenter en anglais, détail d’autant plus dommage que l’air choisi est français ! (« Mon cœur s’ouvre à ta voix », de Samson et Dalila). On sait qu’un chanteur peut interpréter un opéra dans une langue qu’il ne maîtrise pas du tout, mais une petite présentation française était-elle si laborieuse ? Outre la marque de déférence pour le public ayant jusqu’ici entendu les précédentes présentations dans sa langue, elle aurait pu le renseigner à propos d’elle-même, sans parler de le mieux disposer à son égard. Le timbre est métallique, les aigus puissants et les graves sonores. Curieusement, le medium se répand moins, plus étouffé ou moins sonore. On appréciait une fois de plus d’entendre les répliques de Samson prévues par Saint-Saëns, par le Don José de tout à l’heure !
Tenori (ténors)
La catégorie des ténors semble moins riche aujourd’hui et nous devions entendre seulement deux chanteurs retenus…..
Jean-Christophe Born (France) a du mérite de choisir la célèbre Romance « Una furtiva lagrima » de L’Elisir d’amore, car elle ne pardonne rien à la voix ! Précisément, on remarque avec plaisir une certaine puissance de projection dans la voix, un art des nuances… et une bonne prononciation de l’italien, qualité fort difficile pour un chanteur français, souvent aux prises avec une langue pourtant cousine. Une prestation courageuse, que la jeunesse et le trac rendent plus méritante.
Christian Schleicher (Allemagne ). La Scène et Romance de Ruggero « Non c’è altro di più. / … Dimmi che vuoi seguirmi alla mia casa », dans La Rondine est un air non facile, pour l’interprète et pour l’auditeur qui cherche la mélodie, un air discret et ne mettant pas la voix en valeur. Il est écrit de surcroît sur le medium, que l’interprète possède heureusement fort mélodieux, et si l’aigu blanchit un peu, un beau phrasé vient rehausser le chant de l’interprète.
Baritoni (barytons)
Ralph Jaarsma (Pays-Bas) choisit modestement un morceau non spectaculaire, le bref air du Dottor Malatesta « Bella siccome un angelo », narrant les beautés de sa fiancée à l’impatient Don Pasquale. L’interprète possède un timbre d’une grande douceur, aux belles résonances de grave et se montrant à l’aise dans les vocalises. Il ne lui manque que d’améliorer sa prononciation un peu laborieuse de l’italien.
Thomas Huertas (France/Espagne) choisit avec bonheur l’air peu interprété aujourd’hui « Sois immobile » du Guillaume Tell de Gioachino Rossini, dans lequel il faut faire passer toute la douleur du père contraint par le tyran à tirer une flèche sur la pomme placée sur la tête de son fils. L’intensité du chant fait écho au violoncelle qui gémit dans l’orchestre : Thomas Huertas sut faire vivre cette romance, de son timbre clair mais sombre, au sens de limpide, fluide mais à la couleur foncée, encore appuyée par des graves impressionnants.
Mbia Florent (Cameroun) mérite toute notre compréhension émue. L’air de Renato « Eri tu, che macchiavi », tiré du verdien Un Ballo in maschera, n’est déjà pas facile, avec ses nombreux changements mélodiques, mais une soudaine flambée d’émotion due à un malentendu avant l’exécution, face à une réaction du public, perturba le chanteur et provoqua de regrettables incertitudes durant son interprétation. Des hésitations d’autant plus malheureuses quand l’on sait combien furent excellentes les prestations du baryton lors des jours précédents, au point que José Cura choisit de le faire passer en dernier, comme meilleur élément ! N’importe, il faut retenir le beau timbre clair de Mbia Florent, ses aigus flamboyants, et lui souhaiter une heureuse carrière.
Bassi (basses)
C’est également ce que mérite pleinement l’unique basse participant aux master classes, et qui devait se révéler superbe en tous points : Jean-Vincent Blot, venu de Rennes, fit résonner tout l’Opéra dans l’air de Banco « Come dal ciel precipita » de Macbeth, dont la « respiration verdienne », avec sa typique pulsation de l’orchestre préparant l’attaque de l’air, amena une bouffée d’air véritable, en cette atmosphère saturée de Puccini. Doté d’un timbre impressionnant, noir mais velouté, de graves sonores et d’un aigu appréciable, Jean-Vincent Blot a non seulement fait vivre l’air de Banco mais fait vibrer toute la salle, qui lui dédia l’une des plus belles ovations de la soirée.
L’interprète méritant devait du reste se doubler d’un garçon fort sympathique, nous expliquant aimablement à l’issue du concert comme une caractéristique de l’enseignement du Maestro Cura l’avait frappé. Le grand ténor-chef d’orchestre aborde en effet le chant tel un « rapport charnel », nous dit le jeune Maestro Jean-Vincent, en ce sens qu’il s’agit dans le fait de chanter d’un « engagement du corps », d’un investissement « physique » ! Ajoutant que le Maestro Cura « analyse extrêmement bien la partition », faisant « chercher » aux interprètes le rapport intime entre « le texte et la musique », notre jeune basse complète ainsi la belle conception du Maestro-ténor, donnant tout son sens à l’expression incarner un personnage.
Une conclusion splendide, encore auréolée par la rencontre sympathique des chanteurs conviés à un chaleureux dîner dans le plus bel hôtel de la Cité ducale, à côté de l’Opéra et dans un même décor XVIIIe. Dans cette brillante atmosphère de jubilation générale, on était content et ému de retrouver, passant discrètement dans les salles, ceux qui la rendirent possible : le Président Jacques Delfosse et son active épouse, émérite en relation avec tout le monde et coordination de tant de choses. Oh certes, tout n’est pas gagné, comme l’on dit, pour ces jeunes artistes dans la difficile profession de chanteur d’opéra, mais une belle étape, une expérience de prix étaient atteintes…
Un espoir de nouvelles master classes pour l’année prochaine ?… En tout cas, le Maestro a donné son accord. Quant à la surprise annoncée en début d’article, il s’agit de la réalisation, pour la saison 2011-2012, d’un opéra complet, coproduit par Nancy Opéra Passion et l’Opéra national de Lorraine à Nancy et concernant une oeuvre de Giacomo Puccini, moins donnée mais charmante : La Rondine (L’Hirondelle). Un seul nom pour la mise en scène, les costumes et décors, et la direction musicale : José Cura !
Le Maestro a précédemment dirigé l’oeuvre –et déjà pour de jeune chanteurs- au prestigieux « Teatro Comunale » de Bologne. Il n’en est pas non plus à ses premières armes pour la mise en scène, ayant réalisé celle de Un Ballo in maschera et préparant pour la saison prochaine celle de Samson et Dalila… et s’il ne tiendra pas la baguette pour ce dernier opéra, c’est parce qu’il sera Samson !
La distribution ? mais « un maximum de jeunes chanteurs ayant participé aux master », espère fortement Nancy Opéra Passion…