L’édition 2009 du Festival de Montpellier s’achève en beauté avec la création de C’était Marie-Antoinette, une œuvre imaginée et mise en scène par Jean-Paul Scapitta, grand habitué des lieux depuis plusieurs années. Le spectacle se présente sous la forme d’un long monologue de la reine qui, au soir de sa courte existence, se penche sur son passé. Le texte s’articule en seize tableaux ponctués d’une vingtaine d’extraits d’opéras de l’époque, choisis pour bon nombre d’entre eux, parmi ceux que la Reine appréciait. La plupart font directement écho à l’action, comme l’air de Didon de Piccinni « Ah que je fus bien inspirée quand je vous reçus dans ma cour », utilisé comme le leitmotiv de la relation qui unit la reine et le chevalier de Fersen.
Pour mener à bien l’entreprise, Scarpitta s’est entouré d’une équipe particulièrement solide : l’historienne Evelyne Lever, qui a publié notamment des biographies de Louis XVI et de Marie-Antoinette, avait été choisie comme consultante par Sofia Coppola pour son film consacré à la reine. Elle est ici l’auteur du texte, construit comme une sorte de confession intime sur fond d’événements historiques. Le testament que Marie-Antoinette a rédigé quelques heures avant son exécution fait figure de prologue. Dans sa prison, la reine le relit à haute voix avant d’évoquer les grandes étapes de sa vie, à partir de son arrivée à Versailles jusqu’à sa condamnation à mort.
Les costumes, somptueux, ont été dessinés par Milena Canonero, maintes fois récompensée pour son travail qui lui a valu notamment trois Oscars dont un pour le film de Sofia Coppola et un autre pour Barry Lindon de Stanley Kubrick. Les robes qu’elle a conçues pour Marie-Antoinette sont particulièrement éblouissantes.
Jean-Paul Scarpitta a imaginé un dispositif ingénieux qui permet de passer d’un lieu à un autre sans solution de continuité durant tout le spectacle, donné sans entracte. Des panneaux mobiles en tulle peints évoquent tour à tour la Galerie des glaces, les jardins ou le petit théâtre de la reine à Trianon en s’inspirant de maîtres de l’époque, en Particulier Fragonard, pour le rideau d’avant-scène.
Le choix des extraits musicaux se révèle pertinent, mêlant des pages très connues à d’autre, plus rarement données. Gluck s’y taille la part du lion avec pas moins de huit morceaux tirés des quatre opéras qui ont fait sa gloire a Paris. On notera que les airs d’Orphée sont interprétés ici par une femme alors que Gluck les avait destinés à un ténor dans la version française de l’ouvrage mais c’est sans doute parce qu’ils reflètent les sentiments intimes de la reine. Sacchini, un autre protégé de Marie-Antoinette, figure aussi en bonne place ainsi que Piccinni, le grand rival de Gluck, et Grétry. Enfin, le spectacle s’achève sur le Lacrymosa du Requiem de Mozart.
La part belle étant dévolue aux interprètes féminine, Ivan Geissler et Manuel Nuňez Camelino doivent se contenter d’interventions épisodiques. Le premier incarne Œdipe de Sacchini avec beaucoup de conviction mais la voix, insuffisamment projetée, demeure confidentielle. Le second, que l’on a pu entendre l’an dernier dans La Esmeralda de Louise Bertin, est doté d’un timbre lumineux et fait preuve d’une belle musicalité dans l’air de Blondel, tiré de Richard Cœur de Lion de Gretry, « Ô Louis, ô mon roi » chanté avec noblesse et sensibilité.
Dotée d’une voix large et puissante, Sonya Yoncheva ne peut masquer un extrême aigu à la limite du cri, notamment dans l’air de Didon « Ni l’amante ni la reine » de Piccinni. Sans doute, s’agit-il là d’une fatigue passagère.
La grande triomphatrice de la soirée est sans conteste Stéphanie d’Oustrac à qui échoit le plus grand nombre d’extraits, ceux de Gluck notamment, où sa maîtrise de la déclamation lyrique à la française fait merveille, en particulier dans l’air « ô Malheureuse Iphigénie » qui met en valeur ses dons de tragédienne. De plus, la cantatrice exécute avec une virtuosité sans faille les redoutables vocalises de l’air d’Orphée, « Amour, viens rendre à mon âme », chaleureusement applaudi.
Au violon, Fabio Biondi dirige avec sa fougue habituelle son ensemble, L’Europa galante, dont les qualités ne sont plus à vanter. Si les pages de Rameau n’ont pas pleinement convaincu, le chef s’est montré bien plus à son affaire dans les Gluck et les extraits des compositeurs italiens.
Remplaçant Sylvie Testud, initialement prévue, Natacha Régnier est une Marie Antoinette particulièrement crédible physiquement. Toujours digne, sa reine de France est une femme sincère et profonde dont la frivolité n’est qu’apparente. Vu la longueur du texte, on lui pardonnera volontiers, en ce soir de première, quelques trous de mémoire qui finalement accentuent la fragilité du personnage et l’émotion qu’il suscite.
Le spectacle a été filmé pour la télévision et sera retransmis sur France Musique le 2 septembre.